Roméo marchait tranquillement dans le grand parc qui couvrait au moins une dizaine d'hectares. Les arbres s'étendaient à perte de vue tandis que les limites de l’horizon étaient repoussées au fur et à mesure que l’italien avançait. Partout autour de lui, les cerisiers étaient en fleur. Le rose imprégnait tout, le sol était recouvert de pétales magnifiques parmi lesquels jouaient quelques enfants. Des tourbillons de feuilles étaient balayés par la légère brise qui venait tout juste de se lever.

*J’ai bien fait de venir, c’est splendide par ici* songea Roméo en regardant le beau spectacle tout autour de lui

Il y avait comme lui quelques autres solitaires et trois ou quatre couples qui déambulaient sous les grands arbres. Plus il s’enfonçait dans le parc, moins il y trouvait de gens. Quelques rares égarés étaient assis sur des bancs, certains discutaient, d’autres observaient et d’autres encore rêvaient tranquillement. Il croisa un peintre qui reproduisait la floraison sur sa toile, par ailleurs magnifique. Roméo s’arrêta quelques instants pour le regarder faire, voire naître les formes sous le pinceau. L’artiste était bon, il dessina minutieusement les pétales qui tombaient d’un cerisier plus imposant que les autres. Il figeait l’instant et en aurait sûrement pour plusieurs heures de travail.
Après être resté là à contempler la toile, le professeur se remis en marche. La solitude ne le dérangeait pas du tout, et encore moins lors d’un pareil évènement. En effet il n’aurait pour rien au monde échangé sa place. C’est aussi pour ça qu’il avait choisi le Japon, tous les ans c’est le même émerveillement au moment de l’Hanami. Et cette année encore Roméo ne manqua pas sa coutume, il ramassa un pétale particulièrement brillant et le glissa délicatement dans une pochette avant de prendre une photo du champ de cerisiers en fleur. Deux souvenirs qu’il renouvèle à chaque fois.

Il fit encore quelques pas et était maintenant seul … non il y avait quelqu’un d’autre là-bas, une autre personne cherchait la solitude comme lui. Il esquissa un sourire de compassion et décida de poursuivre son chemin quand il s’aperçut que la silhouette de la personne semblait correspondre à quelqu’un vu récemment.

*Espèce d’imbécile tu vois des gens toute la journée, comment tu veux retenir la silhouette de chacun d’eux ?* se dit-il à lui-même

Et pourtant il était certain de ne pas se tromper. Il s’approcha tranquillement de la personne qui ne bougeait visiblement pas et ne l’avait pas remarqué. Hésitant un peu et par peur de paraître ridicule aussi, il ralentit un peu et s’immobilisa à quelques pas de la personne qui s’avérait être une jeune fille. Et il l’entendit parler, comme si quelqu’un d’autre se trouvait à côté d'elle, mais Roméo ne distinguait personne d’autre. Quelle étrangeté pour le professeur qui demanda soudainement sur un ton amical et intrigué à la fois :

- Excusez-moi jeune fille, vous êtes seule par ici ?

Roméo répondit par un simple sourire à l’invitation de la jeune à s’asseoir avec elle sur le banc. A vrai dire il marchait depuis une petite heure et se reposer un peu ne lui ferait pas de mal ! D’autant plus que la brise était fraîche par ici et les tourbillons de pétales plus intenses. Après réflexion Roméo se ravisa en se disant qu’il s’était trompé de personne, il en voit tellement dans l’école tous les jours ! Quant à la discussion qu’il avait cru entendre, il devait aussi se méprendre.

-Oh je vois ! Pardonnez-moi de “m’inviter” de la sorte, je pensais que vous n’étiez pas seule, mais j’ai dû me tromper ! J’ai certainement confondu le bruit du vent dans les arbres avec celle d’une voix. Mais je me présente je m’appelle Roméo Marconi, professeur à l’Ecole pas loin d’ici. Enchanté de faire votre connaissance, surtout en un aussi bel endroit et pour un si évènement si particulier !

Il fit une courte pause, s’asseyant sur le banc et continua de contempler les magnifiques cerisiers devant lui. Au fond de lui il pensait vraiment avoir entendu la jeune fille discuter et vu sur son visage des expressions, comme si elle dialoguait avant son arrivée ! Mais avec qui ? Il n’y avait personne aux alentours … Roméo s’en assura d’un regard furtif autour de lui, avant de reprendre :

-Et donc vous disiez venir de Russie ? En soi ce n’est pas très loin du Japon mais les cultures sont vraiment différentes. Vous devez être dépaysée ici ! Vous étudiez quelque part ou vous êtes ici dans le cadre de vacances ? Aviez-vous déjà assisté à la floraison des cerisiers ? C’est splendide n’est-ce pas ?

*Arrête de la harceler comme ça ! Tu vas l’effrayer là* se dit-il à lui-même

L’attitude hésitante de la jeune fille n’avait pas échappée à Roméo qui une fois de plus fut intrigué. Il lui semblait que le motif de “maladie” avancé était plutôt un prétexte. Mais après tout pourquoi mentir ? Cela serait absurde, d’autant plus que ce n’était pas le moment et qu’il n’était pas une personne effrayante. De plus il ne la connaissait pas, c’est pourquoi il continua en répondant à la question :

- Effectivement vous avez vu juste ! Je suis d’origine italienne, Rome plus précisément. J’ai quitté mon pays natal il y a environ 3 ans pour venir m’installer ici et enseigner à …

Il se coupa net, se rappelant que Tadakai n’était pas visible pour tout le monde, seuls les mages avaient accès à l’institut. Et il n’avait jamais remarqué la jeune fille dans les couloirs, aussi il ne voulait pas prendre de risque inutile. Il fit passer son interruption impromptue pour un émerveillement soudain face au spectacle des cerisiers dont les feuilles tournoyaient de plus belle.

-Oh regardez là-bas comme c’est beau ! s’exclama-t-il soudainement pour camoufler son hésitation

Il se demanda si cela allait être assez, et comme pour ne pas laisser à Katarina le temps de l’interroger il poursuivit directement :

-C’est vraiment magnifique n’est-ce pas ? Dommage que vous veniez dans le cadre d’une cure de maladie, j’espère que ce n’est pas trop grave, et que ça passera vite ! D’ailleurs vous êtes peut-être sous suivi médical ? Je veux dire accompagnée par un aide-soignant car il m’a paru entendre quelqu’un parler avec vous avant que je n’arrive ?

Ouf ! Il avait réussi à s’écarter du sujet de Tadakai pour en aborder un autre. Il afficha un sourire amical à l’encontre la jeune fille, pour lui faire comprendre que si elle ne désirait pas répondre, elle ne devait aucunement s’en sentir obligée.