La journée avait commencé de façon exécrable. Passant peu de temps dans l’enceinte de Tadakai, j’utilisais tout mon temps libre dans diverses sorties et promenades, essentiellement en extérieur ces derniers jours grâce à la météo plutôt douce pour la saison.

Mais en apprenant que la journée serait couverte, voir orageuse, j’espérais passer ma matinée dans le cinéma le plus proche. Cependant, l’averse me surprit en plein chemin pour celui-ci et ne me laissa que le temps de pénétrer l’établissement le plus proche. Un planétarium, d’après l’enseigne. J’hésitais sincèrement à payer un billet. Je n’en ai jamais visité auparavant, mais l’image que j’ai de ces lieux est semblable a une espèce de salle sombre proposant l’observation d’immondes répliques en papier mâché suspendues à un faux plafond dangereusement bas, accompagnés d’un voix monotone sortie de nulle part récitant une frise chronologique céleste. Cependant, le bâtiment semblait moderne et populaire, trop pour proposer un spectacle si médiocre, et la pluie battante mit fin à mes hésitations.

Le ticket en main, je pénétrais dans la salle obscure, mais m’arrêtait aussitôt éblouie par la beauté du spectacle. La valse des astres qui se déroulait au dessus de ma tête me laissait béate. Ni répliques douteuses ni voix monotone ne m’apparaissaient, me permettant d’apprécier encore plus l’heureuse surprise. Retrouvant mes esprits, j’observait la salle. Peu de mondes’y trouvait, je cherchais donc à taton un siège m’offrant un bon point d’observation.

Je replongeais dans ma contemplation, quand un mouvement attira mon attention. Un visiteur s’en allait, et ce n’était pas le seul. La salle déjà peu occupée, se vidait peu à peu. Voyant cela, un, sentiment de malaise me pris. Je tenais la solitude en horreur, mais la perspective de quitter la salle après à peine quelques minutes ne m’enchantait pas. Je cherchais donc du regard les visiteurs restants.

La salle était quasiment vide, mais parmi les 3 ou quatre visiteurs restants se trouvait une fille au visage familier. Elle était la seule personne m’inspirant confiance dans cette salle vide ou je me sentais étouffer. Devinant qu’il était peu probable qu’elle vienne à moi, plongée dans son intense contemplation, je m’approchais subtilement pour occuper la place vide à côté d’elle. J’attendais, n’osant prendre la parole, ayant peur de la surprendre avec mon physique fantomatique dans cette salle sombre. Cependant, la vue d’un autre visiteur me rappela mon insécurité montante et me força à me jeter à l’eau :

« Excuse moi, tu viens souvent au planétarium ? »

Ma voix qui se voulait enjouée et engageante sortit fluette et étouffée. Honteuse d’avoir brisé le silence par une question aussi stupide et mal assurée, je m’enfonçait dansmon siège avec une terrible envie de sortir d’ici. Plus jamais je ne ferais le premier pas, plus jamais.

C’est avec soulagement que j’entendis arriver sa réponse :
« Mmm, non. C'est la première fois. Mais c'est magnifique. Tu t'appelles Shiyu, non ? »

Mon cœur s’arrêta l’espace de deux secondes. Comment diable connaissait-elle mon prénom ? J’observais donc mon interlocutrice avec attention, elle était dans la même tranche d’âge que moi et possédait de magnifique cheveux sombres qui se fondaient dans la salle faiblement éclairée. Puis soudain, le flash : cette fille étudiait dans le même établissement, pire, dans la même classe. Dans la foulée, je me souvins de son nom, facile à retenir avec sa consonance étrangère. M’ayant appelée par mon prénom, je pris l’initiative d’en faire de même pour elle :

« C’est bien ça, et toi tu es bien Shirley ? C’est embarrassant mais je ne t’ai pas reconnue tout de suite, on ne s’était jamais parlé je crois »

Je penchais légèrement la tête et affichait un petit sourire, embarrassée de ma stupidité, avant de relancer la conversation :

« Tu imaginais, toi, que c’était aussi beau l’espace ? C’est peut-être même encore mieux que ce qu’on voit là. »

Maintenant qu’une autre personne me tenait compagnie, le stress de l’isolement s’estompait peu à peu et je laissais mes muscles se détendre. J’observais vaguement les derniers visiteurs qui nous entouraient. Il n’étaient plus que deux, une dame âgée endormie et un jeune étudiant nous lançant des regards indiscrets. Il était fort probable que notre conversation le trouble dans son travail, je prenais donc sur moi pour minimiser le bruit émis. Malgré mon envie d’être discrète, je ne pouvais m’empêcher de tapoter sur l’accoudoir du siège, tout en croisant les jambes. J’en profitais également pour lisser mon chemisier, histoire d’avoir l’air fréquentable tout en attendant sa réponse.

Accélérant la cadence de mes tapotements en attendant sa réponse, je remarquais qu’elle gardait la tête levée vers les étoiles en réfléchissant.

« L'espace, c'est beau, sans aucun doute. Seulement, ici, ça a quelque chose de plus magique. On a l'impression d'être plongé dedans.  d'un côté, c'est... Ça fait un peu peur, non ? L'infini, le vide. »

Sa remarque me fit froid dans le dos. Je commençais alors à m’imaginer flottant dans l’espace, dévorée par le froid et la solitude de la galaxie, entourée par le vide, avec pour seule lumière les étoiles à des millions d’années lumières de moi. Je répondis d’une voie tremblotante.

« Oui…C’est…effrayant »

Entendre l’écho de ma réponse résonnant dans la salle vide me glaça le sang. Maintenant que cette pensée m’étais venue à l’esprit, elle me tétanisait et je me sentais blêmir. Mon angoisse revenue, je constatait qu’il ne restait plus que l’étudiant, nous regardant de plus en plus méchammant. Si notre conversation le gênait, qu’il vienne le dire. Mais c’était le cadet de mes soucis.Je tentais d’orienter la conversation sur un sujet plus léger, me permettant éventuellement d’échapper à mes angoisses :

« Dis…il fait vraiment un temps terrible aujourd’hui…Je comptais aller au cinéma mais...»

Ma voix s’étouffait sous l’effet du stress, et je restais là, pâle et muette, attendant une réponse alors que je n’avais pas posé de question. Je relevais alors la tête et tentait de chercher une solution dans la danse des étoiles, mais la noirceur de la scène m’horrifia encore plus. Quand soudain, je vis un astre tournoyer autour du soleil, si petit et commun qu’il n’avait pas attiré mon attention jusque là. La Terre. Celle sur laquelle nous nous trouvions en ce moment même, sur laquelle nous cohabitions avec des milliards d’autres habitants. Cette pensée me rassura, et me permis de reprendre un peu mes esprits. Poussant un soupir de soulagement, je baissai la tête fermait les yeux quelques secondes, me préparant à retrouver mon attitude calme, à retrouver contenance.

Après que j’eu repris mon calme, elle prit la parole d’un voix incertaine, m’offrant l’opportunité tant attendue.

« Mmm, comme tout le reste de la semaine. Ça me met la morale dans les chaussettes. A ces mots, elle soupira . Mais j'apprécie beaucoup c'est endroit, une découverte à noter. Je reviendrai bien là un de ces jours.

-Ummh…oui, pourquoi pas »

Mais un jour de grande affluence alors, rajoutai-je intérieurement.  J’espérai vraiment qu’elle ne m’avais pas prise pour quelqu’un de bizarre, ou de trouillard. Je ne suis pas peureuse en général, mais j’ai mes fantômes, comme tout le monde. Elle rajouta :

« J'étais juste sortie manger une glace. La pluie m'a empêchée de rentrer à l'académie. »

Sa phrase me fit sourire, sortir juste pour aller s’acheter une glace me paraissait très abstrait, mais plutôt amusant. Elle avait une façon de penser différente de la mienne, mais j’apprécier tout autant la sienne. Je lui répondis avec un petit sourire, et par curiosité :

« A quoi la glace ? »

En posant mon regard sur elle, je vis qu’elle avait enfin remarqué la présence du jeune homme qui continuait de nous fusiller du regard. Après avoir fait cette constatation, je remarquai qu’elle cherchait une position, gênée. Je tentai de la rassurer :

« Ne t’inquiète pas, il est là depuis un moment mais il ne dit toujours rien, il ne devrait pas tarder à quitter la salle. »

Je tentais d’avoir l’air confiante et sereine, même si je ne pouvais pas affirmer avec exactitude que l’étudiant allait nous quitter si rapidement.

Les parfums de la glace étaient apparemment appréciables, mais trop sucrés pour moi. Au souvenir du dessert, je la vis sourire largement. Son expression un peu naïve me fit sourire moi aussi. Cependant, elle avait l’air encore terriblement gênée par l’homme qui ne cessait de nous fixer. Personnellement, je n’en avais pas grand-chose à faire, mais je suppose qu’elle était plus compréhensive que moi. Je fixai moi-même le jeune homme en retour, plus ou moins inconsciemment. J’avais le regard dans le vide, plus exactement, mais dans sa direction.

J’étais prise dans mes pensées quand Shirley me proposa de quitter la pièce.  Ce que j’acceptais sans problème, l’ambiance devenant trop lourde à mon goût. Je me levais donc et marchais en direction de la sortie, jetant un dernier regard au jeune homme.

Une fois dans le hall d’accueil, je constatais en même temps que mon accompagnatrice que la pluie n’avait pas cessée. En vérité, ça ne me dérangeait pas plus que ça. La seule chose qui m’empêchait de sortir dehors sous la pluie était mes vêtements encore propres et repassés. Je ne pus m’empêcher de laisser échapper :

« J’aimerais bien courir sous la pluie, dommage que j’aie ces vêtements »

Puis je me rendis compte de l’ambiguïté de ma phrase, qui laissait sous-entendre que j’étais une espèce d’exhibitionniste appréciant de se balader nue en pleine rue les jours de pluie. Je tentais donc difficilement de rattraper le coup :

« Enfin, ce que je veux dire, c’est que j’aime bien la pluie...Enfin que ça ne me dérange pas de marcher sous la pluie…Sauf quand j’ai des vêtements…Enfin parce qu’ils seraient mouillés, mais… »

Je stoppai immédiatement ma phrase, réalisant le ridicule de celle-ci. Je laissais tomber en poussant un soupir, espérant encore une fois ne pas être passée pour une espèce de tordue. Décidément, la sociabilité et moi ça fait deux.

Après mon entrée dans les toilettes, précédée de peu par Shirley qui avait une expression de conspiratrice à ce moment là, elle me fit une offre for intéressante:

« Si j'ai bien compris, toi aussi l'idée de courir sous la pluie ne t'enchante pas. Voilà ce que je te propose. Je nous téléporte au dortoir. Qu'est-ce que tu en dis ? »

Sa proposition me satisfaisait totalement, mais me surpris un peu. J'ignorais totalement quel étai son pouvoir, mais je constatait que j'étais chanceuse de tomber sur une fille douée de téléportation dans cette situation. J'acceptais, mais lui demandais quand même:

«Avec plaisir. Alors tu peux te téléporter? C'est bien pratique comme pouvoir je suppose.»

Je jetais vaguement un œil à la glace encastrée dans le mur. J'avais une de ces têtes! Encore plus pâle que d'habitude et ébouriffée, je passais vaguement une main dans mes cheveux, qui y restèrent collés à cause de l'électricité statique accumulée à cause des sièges de la salle. Heureusement que je n'avais pas à sortir avec cette tête là, j’aurais effrayé les passants.

J'attendais donc avec impatience de la voire utiliser son pouvoir. Je ne m'étais jamais téléportée de ma vie, mais il fallait un début à tout! Et j'étais surtout terriblement curieuse, j'adorais m'informer sur les pouvoirs de mes confrères, ce qui menait parfois à des situation gênantes vu les rapports de certains avec leur dons. Je n'étais moi-même pas à l'aise avec, je le maudissais même parfois. Mais je savais aussi que si j'étais "normale", je n'aurais peut-être jamais rencontré des gens comme Shirley, et ça me réchauffait le coeur. C'est sûrement ça, le destin.