Silence. Blanc.

Là où Ryusaki était était d'un blanc immaculé. Un endroit vide, blanc, à perte de vue. Personne à gauche. Personne à droite. Personne devant et personne derrière. Non, il était plus juste de dire rien plutôt que personne. Rien autour de lui. Et simplement le sol, en dessous de lui. Un sol dénué de tout motif. Un sol dénué de toute ligne, de tout relief. Un sol complètement plat et blanc. Impossible de définir la limite à l'horizon, puisque le ciel semblait du même blanc que le sol. Aucun bruit. Aucune odeur. Il n'y avait simplement rien. Et c'est ce qui faisait paniquer le jeune garçon. Il n'y avait rien. Rien à manger. Rien à faire.

Bon. Regarder la situation avec du recul. Mais le petit blondinet avait beau faire trois pas en arrière, cela ne changeait absolument rien. Ah, ce n'était pas ce genre de recul. Disons plutôt, regarder la scène d'un point de vue extérieur. Il n'y avait absolument rien, là où Ryusaki était. Quels sont ses derniers souvenirs? Du sable. Des monsieurs qui le portaient dans un endroit inconnu. Des bonbons. Des armes. Le temps de remettre ses souvenirs dans l'ordre, il était évident qu'il ne pouvait pas être dans un monde vide, alors qu'il était encore à Tadakai il y a quelques instants. Et le fait qu'il n'avait absolument pas faim indiquait bien une chose : Ce n'était pas le monde réel. Ryusaki était en train de rêver.

Fin du silence.

Le jeune garçon rouvrit les yeux. Il y avait quelque chose de plutôt doux en dessous de lui. Un oreiller... Et un lit? Curieux. Sauf qu'il était évident que ce n'était pas le sien. Après tout, la taie de cet oreiller était blanche. Peut-être était-ce cela, la source de tout ce blanc. Bon. Deux choses lui rappelèrent qu'il était cette fois dans le monde réel. Son estomac qui se mettait à gronder... Et tout le haut de son corps qui semblait très endolori. C'était un fait. Impossible de se lever. Impossible de lever ses bras. Cela faisait mal partout, et le jeune garçon avait du mal à réprimer sa douleur lorsqu'il tentait de bouger. Un soupir. Au moins, il pouvait bouger un peu la tête.

Il y avait un plafond, cette fois. Avec des ampoules au plafond. Un peu en dessous du plafond, il y avait des rideaux blancs un peu partout. Pas de doute, il s'agissait de l'infirmerie de Tadakai. C'était peut-être la première fois que le jeune garçon était à l'infirmerie, en tant que patient, mais ces rideaux étaient facilement reconnaissables de l'extérieur. Bon. Plus bas. Oui, il y avait plein de lits et d'étagères pleines de produits bizarres, de fioles, de bouteilles étiquetées. Un peu plus bas... Oh. Des bandages, un peu partout. Mais surtout... Ryusaki était habillé. Un uniforme de première année. Cependant, il était évident que cet uniforme n'était pas le sien. Trop grand. Beaucoup trop grand. Genre, les manches qui dépassaient au moins de deux mains, et le pantalon qui aussi dépassait largement de ses pieds. Après tout, son uniforme était dans les vestiaires de l'arène, et bloqué par un cadenas. Et c'était un uniforme qu'il avait du faire faire sur mesure puisqu'il était trop petit.

A droite, une fenêtre. Ryusaki ne savait pas quelle heure il était, mais il semblait s'être passé un petit moment, vu la position du soleil, entre le début du combat et l'instant présent. Mais aucune réelle idée de combien de temps il était resté inconscient. Et à gauche... Le professeur de japonais, sur le lit d'à côté. Celui qui l'avait mis dans cet état. Après tout, les règles étaient les règles, et il avait compris à quoi il devait s'attendre depuis le début du combat. Donc, il ne lui en voulait pas pour cela. La seule chose pour lequel il lui en voulait peut-être était d'avoir volé un repas à un élève. Mais bon, passons, Ryusaki avait déjà réussi à le punir de ce fait.

"Argh... Reb'jour, Sensei."

Il y avait plein de choses, que Ryusaki voulait demander à son professeur. Combien de temps il était resté inconscient, s'il lui en voulait, s'il avait toujours mal, comment lui il allait, éventuellement s'excuser... Mais rien ne sortit de sa bouche. Difficile émotionnellement d'avoir une discussion correcte avec quelqu'un alors que, dans les derniers moments dont Ryusaki se souvenait, ils se blessaient mutuellement. Il fallait mettre en ordre tout ça, toutes ces pensées, avant de pouvoir discuter normalement...

Ouille. Un mal de crâne venait s'ajouter en plus des maux divers qui l'affligeaient déjà. Cependant, Ryusaki n'arrivait pas vraiment à monter ses mains jusqu'à sa tête. Les bandages immobilisaient un peu les parties critiques, cependant, il n'y avait pas fracture des bras, c'était juste pour comprimer et refermer les plaies. Mais tout endolori, impossible de les lever. La seule chose qu'il pouvait faire pour cela, c'était de serrer les dents. Enfin. Il n'avait pas vraiment de problèmes pour parler, apparemment, puisque le professeur l'avait bien entendu et lui avait répondu. L'appelant Ryu. Oui, certes, le jeune garçon avait sans nul doute découvert une facette de l'anatomie du professeur que personne d'autre ne connaitrait, cependant, cela n'expliquait pas vraiment cette familiarité soudaine. Après tout, s'il suffisait de mordre l'avant-bras de quelqu'un pour devenir son ami, cela ferait longtemps qu'il aurait dépassé tous les réseaux sociaux. Cependant, il n'avait pas de raison de refuser non plus.

"Appelez-moi comme ça vous chante, Takei-Sensei."

Ryusaki inclina légèrement la tête, avant de regarder à gauche et à droite, mais surtout en dessous de lui. Certes, en dessous, c'était tout blanc. Cependant, ça ne brillait pas vraiment. Et, le jeune garçon avait beau pouvoir tout rendre comestible, les draps et couvertures n'étaient généralement pas des éléments qu'une personne normale considèrerait comme nourriture. Peut-être que dans les différents poisons infligés lors du combat ou médicaments pris, certains avaient un effet sur l'acuité visuelle du professeur? Bien étrange, tout cela.

"Nope, je confirme. Je suis pas dans mon assiette, je suis sur un lit là. C'est trop mou et pas assez rond pour être une assiette. Quoique j'ai bien vu des assiettes carrées, mais c'est un peu trop grand pour tenir sur une table."

La question du professeur fit réfléchir le jeune garçon. La fin du combat... Le jeune garçon essayait de se souvenir aussi précisément que possible de ce qui s'est passé entre le moment où le jeune garçon s'était énervé et... euh... Son réveil. Ses souvenirs étaient plutôt vagues. Mais Ryusaki tenta de décrire aussi précisément que possible ses souvenirs.

"Heu... N'ai couru vers vous, un papillon a volé, n'ai essayé de vous taper en m'agitant dans tous les sens, mon épée a vu une pièce à l'autre bout de l'arène et est allé la ramasser, n'ai lancé mes cheveux, n'ai croqué votre bras, pis n'ai fait l'avion avant de faire le pneu, la terre a tourné, des monsieurs m'ont relevé, pis quelqu'un a éteint le soleil. Et me suis réveillé là. Quelque chose comme ça."

Bon. Son résumé n'était certes pas des plus clairs, cependant, c'était à peu près à cela que, une fois remis correctement en ordre, cela se déroulait dans la petite tête idéaliste du jeune garçon. Qui sentait qu'il avait oublié quelque chose de capital. Cependant, cette chose capitale se manifesta d'elle-même.

"... Et j'ai faim."

Abandonné... Le combat? Ryusaki leva un sourcil et se mit à réfléchir quelques secondes. Cela semblait évident, qu'il avait abandonné le combat, pourquoi avait-il besoin de le préciser? Après tout, lui aussi avait abandonné le combat. Puisqu'il n'était plus en train de chercher un moyen de taper le professeur. Et qu'ils étaient en train de discuter et non de s'entre-tuer. Peut-être étaient-ce les notions de japonais du jeune garçon qui laissaient à désirer. Cependant, cela ne l'empêchait pas de répondre comme il le sentait, à l'instinct, et sans réfléchir.

"Bah oui que vous avez abandonné le combat. Moi aussi, hein. C'pour ça qu'on est à l'infirmerie en train de parler et pas encore à l'arène en train de nous taper dessus. La... Victoire?"

Un regard à gauche, un regard à droite, mais non, au pied de son lit, le garçon ne voyait aucune victoire. Un bien étrange mot que le garçon ne connaissait pas, ou plutôt, n'avait pas dans son vocabulaire traduit. Cependant, ce n'était pas tellement une question de vocabulaire à bien y réfléchir, mais de contexte plutôt. Une association d'idée qui ne se faisait pas. Pour lui, ce combat n'était pas un duel menant à un vainqueur et un vaincu, mais un simple divertissement. Un évènement, une distraction du public. De ce fait, la victoire était pour lui un bien étrange objet inconnu. Et apparemment absent de cette chambre, puisque tous les objets qu'il voyait portaient un nom qu'il connaissait à peu près.

"J'étais tellement chamboulé à la fin que je vous ai pas vu me la donner, désolé. Je vois aucune victoire dans cette chambre, j'espère que les monsieurs de l'arène qui m'ont emmené ici ont pensé à la ramener et qu'ils l'ont pas laissé là bas, mais c'est gentil. Je me demande quel goût ça a."

Comme pour répondre à sa question, une démone était entrée dans la pièce. Un familier, sans doute, appartenant au professeur puisqu'il ou elle lui donna un sac dans lequel le professeur fouilla. Le jeune garçon pencha la tête et se demandait quel goût ce familier pouvait bien avoir, cependant, il y avait à ce moment autre chose à goûter, que l'on lui présentait comme étant des biscuits. Bah, si c'était ça la victoire, cela ne remplirait pas beaucoup son estomac, mais c'était mieux que rien.

"ขอบคุณมาก. Enfin, j'veux dire, merci."

Suivant le familier du professeur entra le familier de Ryusaki. Un lapin en peluche rose marchant sur deux pattes et tenant dans ses bras une banane. Usa-chan regarda à gauche puis à droite, cherchant le gamin du regard, avant de trouver son lit et de grimper dessus. Jetant un coup d'oeil à Kintaro-sensei, Usa en déduisit qu'il valait mieux changer ses plans. C'est pourquoi le lapin en peluche ouvrit de force la bouche du jeune garçon, afin d'utiliser ses dents pour créer une faille afin de pouvoir éplucher la banane. Après l'avoir épluchée, Usa fourra la banane dans la bouche de Ryusaki, qui se laissait faire avec pas mal d'incompréhension. Pourquoi agir ainsi? D'habitude, Usa se fichait un peu du jeune garçon, l'accompagnant juste parfois quand ça l'arrangeait.

Et une fois la banane avalée, Usa descendit du lit et sortit, peau de banane en patte, par la fenêtre. Cela avait beau être haut, l'anatomie d'Usa-chan avait l'avantage de n'avoir aucun os et un poids suffisamment léger pour faire une chute de plusieurs étages sans risques, juste de rebondir un peu, tant qu'il n'y avait rien au sol qui pouvait le déchirer ou l'accrocher. Il ne lui fallut d'ailleurs seulement quelques secondes pour entendre ensuite, par la fenêtre, un "Aaaaaaah! *pouf* [Censuré], qui est le [Censuré] qui a laissé une peau de banane trainer par terre?", et Ryusaki comprit qu'il avait juste servi d'ouvre-boite du moment.

"Mon âge? J'ai 13 ans. Et je suis en 1è année, au cas où ça se voit pas."

Il était en effet difficile de prendre le jeune garçon pour autre chose qu'un première année quand on savait qu'il était élève dans ce pensionnat. Après tout, il était bien plus petit que la majorité de ses camarades. Cependant, sans cette information, on peut aisément prendre le jeune garçon pour un élève de classe élémentaire. De plus, en y réfléchissant, rien ne semblait impossible dans cette école, ce qui faisait qu'il ne semblerait pas étonnant qu'un 5è année se retrouve dans un corps de gamin.

"Mon pouvoir... Ne me permet pas de tout manger, mais de rendre comestible et sans danger pour l'organisme tout ce qui entre en contact avec ma bouche. Comme ça, je suis pas seul à pouvoir en manger. Mais étrangement, les gens ont pas envie de goûter à ce que je mange..."

Le fait donc qu'il ait à ce jour donné de très nombreux baisers indirects ne l'effleura pas une seule seconde.

Un bien étrange pouvoir. Ryusaki tiqua légèrement à ces mots, regardant le professeur avec incompréhension. Cette fois, ce n'était pas tant un problème de sens, mais plus une question de contexte. Cet individu était professeur. Chaque professeur s'occupe d'une matière, pour l'ensemble de l'établissement. Et le japonais était tout sauf une option. Donc, en y réfléchissant bien, Kintaro-sensei devait bien avoir vu des centaines d'élèves différents. De tous les âges, de toutes sortes. Et donc, des centaines de pouvoirs différents. Alors... Pourquoi considérer son pouvoir comme étrange? Le jeune garçon lui même avait déjà abandonné une bonne partie de son sens commun et de sa normalité lorsqu'il était entré dans ce pensionnat. Si lui était étrange, au moins 50% des élèves le sont. Et donc, personne ne l'était vraiment.

Inutile de continuer en réflexions philosophiques. Ryusaki avait faim. Ce n'était pas un biscuit ou une banane qui le remplirait. Non, il lui fallait bien plus, et le bien plus se révéla être proposé par le professeur de japonais. Un vase en porcelaine? Pourquoi pas. Le jeune garçon leva son bras autant qu'il pouvait, pour prendre le vase. Il n'avait pas une prise très solide, et il devait ainsi se concentrer pour ne pas laisser tomber ce vase. Ce serait bête de le laisser tomber avant de l'avoir goûté. Et ainsi, Ryusaki examina vite fait ce vase sous tous les angles. Un vase totalement vide et sec. Cela faisait un certain moment, apparemment, qu'il n'avait pas reçu de fleurs. Puis, le remettant à l'endroit, le jeune garçon mordit le vase par le haut avant de tendre, tremblant légèrement. Le morceau de porcelaine craquait sous sa dent.

"Tenez. Maintenant, il devient facile de le couper avec les dents. Mais bon. Outre la texture bien croustillante, ça a pas vraiment de goût et ça n'absorbe pas le goût de ce qui entre en contact avec. C'est pour ça d'ailleurs qu'on fait des assiettes en porcelaine, j'pense, pour ne pas altérer le goût des plats servis dessus."

Le jeune blondinet regarda, l'air pensif, par la fenêtre. L'extérieur était toujours aussi bruyant, et le jeune garçon aurait adoré pouvoir participer à ce bruit. Sauf qu'il était dans une infirmerie, dans l'incapacité de bouger. Et s'amuser en faisant du bruit était irrespectueux pour tous ceux qui étaient là. Ce qui incluait juste lui et le professeur, mais tout de même, il s'agissait d'une infirmerie, pas d'une chambre. Regardant ensuite le professeur, et repensant au goût qu'il avait. C'était certes un peu flou. Après tout, tout s'était passé très vite, et comme on pouvait s'en douter d'après ses dires précédents, ses souvenirs du combat n'étaient pas très clairs. Cependant, de ses cinq sens, celui qui était le plus précis était son goût, et ordonner ses souvenirs par ce qu'il avait eu dans la bouche était plus facile. Cela lui demandait juste de se concentrer un peu. Mais il y avait tout de même quelques trous dans sa mémoire.

"Heu... Difficile à décrire."

Ce qu'il avait en tête était un goût de viande crue. Des fibres assez dures, un goût de sang, mais... Difficile d'en dire plus. Après tout, il avait mordu le professeur pour se défendre, et non pour déguster. Il n'avait pas vraiment eu le temps de mâcher correctement, de se concentrer sur le goût, de chercher les petites nuances. Pas eu le temps d'apprécier ce qu'il avait en bouche. Juste un goût global, général. C'est pourquoi Ryusaki devait se concentrer. Ce n'était pas comme si le professeur allait tendre son bras à nouveau pour se laisser mordre une seconde fois.

"C'était un goût de viande, évidemment. Assez dure, mais bon, on était en pleine action. Un goût de sang... Un peu étrange. Un sang humain, mais... Etrangement parfumé. J'peux pas vraiment décrire ça, mais... C'est comme si... Ca ressemble un peu à du sang de loup. Ah, et, il y avait aussi quelques poils qui chatouillaient la langue. J'pense pas pouvoir en dire plus."

"Nah, attends!"

Ryusaki se faisait entrainer par le bras. Cependant, le jeune garçon n'était pas tout à fait remis de ses blessures. Ce n'étaient pas des blessures extérieures, mais intérieures. Après tout, ce qui lui avait fait le plus de mal était le paralysant nerveux qui à plusieurs reprises s'était introduit dans son organisme. Difficile donc de tenir debout, et encore plus de marcher. Cependant, il y avait plein de médicaments sur les tables de chevet. Des cachets en tout genre, des seringues que le professeur ou l'élève devaient prendre plus tard... Il fallait être consciencieux et bien se soigner. Autrement dit, le jeune garçon utilisa pas mal de force ne serait-ce que pour lever le bras... Et avaler tous les médicaments. Avec leurs emballages et seringues. Certains avaient bon goût (selon lui), d'autre moins. Mais tous avaient un point commun : Ils ne lui faisaient absolument aucun effet. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il les avait mangés. Au moins, il était sur de ne pas avoir d'overdose ou d'effets secondaire. Juste de la pure curiosité.

Le professeur se mit à regarder à gauche et à droite dans le couloir pour voir si la voie était libre. Quand on regarde comme ça, généralement, c'était pour commettre un méfait. Et il y avait une armoire à pharmacie fermée par un cadenas. C'est pourquoi Ryusaki se dirigea vers l'armoire à pharmacie, pour croquer dans le cadenas pour ouvrir la porte, et ainsi pour voir tout un tas de fioles en tout genre, dont la plupart étaient magiques. Une fiole de soin attira son regard. Dose pour une personne, rend 25 points de vie... Le jeune garçon se demandait ce qu'étaient des points de vie. Mais si les médicaments ne lui faisaient rien, c'était à cause de son pouvoir. Et cette fiole pouvait certainement l'aider. Il lui suffisait juste de faire très attention à ne pas activer son pouvoir... C'est à dire, éviter soigneusement que le liquide touche ses lèvres quand il buvait le contenu.

L'effet fut immédiat. C'était très rare que Ryusaki sente quelque chose se produire quand il mangeait ou buvait quelque chose. Le jeune garçon sentit toutes ses courbatures s'envoler, et de l'énergie en lui commençait à se répandre dans tout son corps. D'habitude, c'était juste de l'énergie qui stagne dans son ventre et qui se dissipe. Là, il sentait l'énergie affluer à toute vitesse dans ses vaisseaux sanguins. Ou lymphatique. Il n'en avait aucune idée, mais c'est comme si l'énergie prenait une autoroute au lieu de couper à travers un champ. Il fallait qu'il se souvienne de cette sensation. Il fallait qu'il la reproduise, tôt ou tard. En tout cas... Ryusaki allait tout de même beaucoup mieux. Bon, il restait encore quelques traces, il n'était pas tout rempli d'énergie et...

"On va où tu veux tant qu'il y a à manger!"

"... Na... Sai?"

C'était compliqué, le japonais. Ou même, les langues à formes multiples dans la conjugaison. Ryusaki se frottait le front tout en essayant de stocker dans sa mémoire la nouvelle forme qu'il venait d'apprendre. Parce que oui, il n'y a pas un, mais apparemment deux impératifs. Voire plus encore, si son intuition était bonne. Pourquoi ne pouvait-on pas faire avec des formes simples à retenir? Genre un verbe, qui ne change jamais, et une petite particule séparée qui ne change pas selon le verbe, et qui indique le temps employé. Les langues à conjugaisons sont compliquées. Cependant, le jeune garçon ne partagea pas sa pensée, bien au contraire. Ryusaki se pencha en avant et joignit ses mains en prière.

"Je vous demande pardon. Je ne voulais absolument pas vous manquer de respect. Juste que... Je ne savais pas."

Il n'y avait pas si longtemps que cela, Ryusaki ne savait pas du tout parler japonais. Enfin, juste deux trois mots. Il n'avait juste passé que quelques mois avant de venir à Tadakai, et avait appris le strict minimum. Mais bon. Ceci étant fait, autant repasser à la phase d'infiltration. Un petit jeu auquel les deux personnes semblaient jouer, à éviter les gens dans les couloirs, à prendre le bon angle pour que personne ne remarque que les deux personnes sortent de l'infirmerie, que ce soit une démarche normale d'un élève suivant un professeur, ou un pas de côté afin de cacher les différents bandages sous cet angle et ne pas faire de bruit. Et le jeune garçon finit par arriver en compagnie du professeur à une porte. Oh? Il s'agissait d'un studio. Et apparemment... Les professeurs semblaient avoir bien plus de luxe que les simples étudiants.

"N'est graaaand..."

Bon, en vrai, ce n'était pas si grand que cela. Mais il y avait tout de même un coin cuisine et suffisamment d'espace, ce n'étaient pas juste quatre lits et quatre armoires entassées comme dans sa chambre. Cependant, si tous les élèves avaient un studio comme celui-là, il était évident qu'il n'y aurait pas assez de place à Tadakai pour loger tout le monde. Un professeur avait droit au respect, il avait donc normalement droit à une habitation plus grande. Et apparemment, le professeur avait quelques restes dans son réfrigérateur, qu'il avait mis à réchauffer avant de servir au jeune garçon.

"N'êtes sur que je peux? Bon bah... Merci beaucoup!"

Nyaaaa. Cela faisait du bien de manger. Le jeune garçon devait juste faire très attention à ne pas, comme à son habitude, manger les couverts qui allaient avec. Et un repas chaud, même composé de restes, est tout de même meilleur que les différents médicaments de l'infirmerie. Et semblaient aussi... Plus efficaces. Etrange. Maintenant, son bras le grattait. A l'endroit où il avait reçu un coup de dague, il y a quelques instants. Et pendant ce temps là, le professeur de japonais lui avait demandé ce qu'il avait comme centres d'intérêt. Mis à part manger. Mais il n'y avait que peu de choses qui occupaient son esprit, quand on écartait la nourriture...

"Je... Pense pas, faut que je réfléchisse."

Tout était lié, de près ou de loin, à la nourriture. L'une des principales passions du jeune garçon était l'exploration, la découverte de nouveaux endroits, et les voyages, mais c'était principalement pour la gastronomie locale et les différentes choses qu'on pouvait y goûter. Il fallait qu'il pense à autre chose. Non plutôt, à un autre angle. Et c'est en regardant son uniforme trop grand pour lui que le jeune garçon se rappela de quelque chose qui pour une fois n'avait absolument aucun rapport avec la nourriture.

"Les costumes! J'aime bien porter des tenues différentes, du moment que c'est mignon ou rigolo."

L'exemple parfait de cela était son costume de petite fée il y a quelques instants. Ca n'allait pas vraiment pour un petit garçon, mais il était choupi dedans, et c'était un peu pour cela que c'était ce costume qu'il avait choisi...

Ryusaki se mit à réfléchir à toutes ces questions. Et accessoirement, à rougir. Il y avait tant de choses à répondre, et en même temps, il ne savait pas vraiment quoi dire. C’était des choses importantes en effet, cependant, le jeune garçon se demandait même s’il devait répondre à tout. Après tout, certaines de ces questions relevaient peut-être d’un domaine un peu trop privé, mais tout de même, le professeur lui avait donné un repas, il se devait donc de répondre un minimum. Même si, en y réfléchissant bien, il n’était pas arrivé au pensionnat de puis très longtemps, il avait tout de même eu le temps de faire pas mal de choses.

“Heu… Oui, j’ai des amis. ‘fin, pour l’instant, c’est plus des copains que de vrais amis. Ca ne fait qu’une semaine, ptet un peu plus, que je suis là, donc, je pense pas pouvoir vraiment dire que ce sont de vrais amis, mais je m’entends très bien avec mes camarades de chambre.”

Quant à ses études… Le jeune garçon ne savait pas vraiment quoi répondre. Il n’était pas bête, bien au contraire. Cependant, chacun avait ses domaines de prédilection, chacun avait ses préférences. Le jeune garçon se débrouillait très bien sur à peu près tout ce qui pouvait être aussi enseigné à l’étranger. Les mathématiques, les sciences. Même la magie ne lui posait pas trop de problèmes. Etant donné qu’en première année, tout le monde découvre, donc, le niveau n’était pas forcément très haut non plus. C’est pour cela qu’il avait été admis alors qu’il avait un an de moins que la majorité des première années. En revanche, s’il y avait une matière sur lequel le jeune garçon butait, c’était bien le Japonais. L’histoire-géographie posait aussi quelques problèmes, mais pas autant que le cours de Japonais… Or, le seul souci, c’est que le professeur de Jap’ se trouvait justement présentement en face de lui.

“Les études… Ben euh… Je… Me débrouille…”

Ryusaki avait le même ton qu’un élève qui n’avait pas fait ses devoirs devant un professeur qui le grondait. Un doux mélange de peur, de timidité et de honte. Si cela aurait été un autre professeur, la réponse aurait été sensiblement la même, mais le ton serait différent, il y aurait eu à la place de la confiance en soi et un peu de modestie. Toujours est-il qu’il s’agissait d’un sujet que Ryusaki ne voulait absolument pas aborder. Pas avec le professeur de japonais. Heureusement qu’il pouvait changer assez vite de sujet de conversation.

“La magie, c’est cool! J’ai l’impression que plus je mange de choses ici, plus je peux manger de choses différentes! Au début, ça faisait bizarre de manger des trucs magiques, ça faisait mal au ventre, mais on dirait que maintenant, je peux manger des sorts bizarres sans crainte! Sinon, la ville, j’aime pas trop sortir. Faut tout le temps que je fasse attention qu’il y ait personne, parce que les gens ne doivent pas voir que je peux manger n’importe quoi. Et ils n’aiment pas non plus que je mange des feux rouges ou des poteaux téléphoniques.”

Il était vrai que bien des choses se rapportaient à la nourriture. Cela ne changerait pas, et de toute façon, Ryusaki n’avait aucune envie de changer. La seule chose qui pouvait le motiver à changer était éventuellement… Le seul sujet qu’il n’avait pas encore abordé. Qu’il n’avait pas vraiment envie d’aborder. Devait-il vraiment le faire? Pesant le pour et le contre, le jeune garçon rougissait un peu et se disait que, s’il ne donnait pas trop de détails, cela ne changerait pas grand chose pour lui ou pour le professeur.

“Il y a bien cette fille… Que je trouve… Mais j’ose pas… Elle est jolie… Et gentille… Je… Kyaaah.”

Impossible d’en dire plus. Que ce soit physiquement, parce qu’il était devenu tout rouge et n’arrivait plus à prononcer quoi que ce soit, ou même volontairement, parce qu’il n’avait pas envie du tout d’en dire plus. Néanmoins, le jeune garçon espérait fortement que le professeur ne puisse pas lire ses pensées actuelles… Même si elles se devinaient assez facilement.

Gloups. Il était évident qu'il ne pourrait pas éviter ce sujet. Etrangement, le jeune garçon préférait encore plus parler du cours de japonais que de ce qu'il avait actuellement en tête. Les mots lui sortiraient bien plus facilement, il pourrait toujours baratiner un peu et se débrouiller pour trouver des excuses. Après tout, s'il ne s'agissait pas de vocabulaire, de grammaire ou de prononciation, le jeune garçon s'en sortait tout de même assez bien. Mais là... Ce n'était même pas le vocabulaire. C'était juste purement physique. Une respiration accélérée, mais qui ne semblait pas donner suffisamment d'air. Un coeur qui battait de plus en plus vite, mais qui ne semblait pas battre suffisamment vite pour ordonner ses émotions. C'est là que Ryusaki comprit. Le combat semblait continuer, Kintaro-Sensei voulait juste le torturer émotionnellement pour se venger de ce qu'il lui avait fait au bras.

Cependant, jamais Ryusaki ne baisserait les bras. Il lui avait fait du mal, donc, le jeune garçon se sentait obligé de répondre à sa question. Ce n'était pas un simple ordre de professeur que le jeune garçon suivait, mais un acquis de conscience. Et de toute façon, que craignait-il? Il suffisait juste qu'il trouve les bons mots afin d'expliquer ce qu'il ressentait... Tout en évitant soigneusement de décrire la demoiselle qui avait capturé son coeur. Un simple jeu de paroles, de mots à correctement manipuler. Et même s'il savait qu'il n'était pas vraiment très doué à ce petit jeu, le jeune garçon voulait tout de même s'y risquer. Après tout, c'était là sa façon de se battre. Aussi bien contre son professeur... Que... Pour elle.

"Je..."

Allez, encore un effort! Ce n'était pas maintenant qu'il fallait baisser les bras, ou en l'occurrence, la langue!

"Une demoiselle... Toute douce... Qui... Je crois..."

Bon. On va pas avancer loin comme ça. Cela avait donné le temps au professeur de faire chauffer de l'eau et de préparer du thé. Un bon thé bien chaud, et bien parfumé. Une personne normale se brûlerait la langue à le boire tout de suite. Cependant, cela ne gêna en rien le jeune garçon qui saisit la tasse brulante pour déverser le breuvage directement dans sa bouche, laissant sa langue tremper complètement dans le liquide afin de percevoir l'arôme de cette tasse. Cinq secondes. Peut-être dix. Avant d'avaler. Petit à petit, l'expression de visage du jeune garçon changeait, pour devenir de plus en plus sereine. Et en avalant, toute trace de gêne, de rouge sur son visage, semblait avoir disparu avec cette gorgée, comme partie avec, entrainée par le courant de thé vers son estomac.

"Il s'agit d'une très charmante demoiselle avec qui je m'entends très bien. Ce ne fut pas le coup de foudre au premier regard, comme dans beaucoup d'histoires. Après tout, je ne suis pas sur, voire même, je doute très fort qu'elle partage à mon égard les sentiments que j'ai pour elle. Nous nous sommes rencontrés le jour de mon arrivée ici, au pensionnat. Elle était là, comme un ange tombé du ciel, pour m'accompagner dans mes premiers pas dans ces lieux, qui semblaient être ses premiers pas aussi. Il est si facile de discuter avec elle. Sa voix a quelque chose de réconfortant, qui incite à parler plus, à discuter, et à ouvrir son coeur, malgré une lègere touche de timidité qui ne me déplait pas non plus, donnant un certain charme à tout cela. Nous sommes désormais amis, nous nous revoyons aussi souvent que possible entre les cours. Elle est certes jolie, pas au point de faire tourner tous les regards vers elle à son passage, mais après tout, tant mieux, je dirais, car cela me permet de passer plus de temps avec elle sans être dérangé. Et c'est à force de rester à ses côtés, à discuter, à rire avec elle, à la faire sourire, que peu à peu, j'ai compris la réelle nature de mes sentiments pour elle. Que tout ce que je veux, c'est qu'elle soit heureuse, heureuse et souriante. Et je serais prêt à renoncer à un millier de cookies juste pour un de ses sourires."

A croire que Kintaro-sensei avait versé dans ce thé un philtre de vérité ou quelque chose comme cela. Mais non. Aucun philtre, aucune potion, aucune magie n'était efficace lorsqu'elle rencontrait les lèvres du jeune garçon, et qu'elle se déversait ainsi à l'intérieur de son organisme. Il ne s'agissait que de thé. Le jeune garçon reprit sa tasse dans ses mains et avala ce qui restait à l'intérieur, appréciant à nouveau ce breuvage légèrement amer, d'où se dégageait un subtil parfum de jasmin. Le thé avait quelque chose d'apaisant chez le jeune garçon, qui semblait avoir changé du tout au tout en une gorgée. Ce n'était pas un effet spécial. Juste une aide pour organiser ses pensées, ses émotions et son esprit. A se calmer et à s'apaiser.

"Peut-être devrais-je prendre, à ce moment là, une autre tasse de thé juste avant de lui avouer mes sentiments. Etait-ce tout ce que vous vouliez entendre, Takei-Sensei?"

Ow. Kintaro-sensei se leva, et Ryusaki regarda sa tasse de thé avec le sourire, se demandant ce qui allait se passer avec enthousiasme. Il avait donc quelque chose pour lui? Un cadeau? Le jeune garçon aimait bien les surprises, mais il n'y avait pas grand chose qu'il désirait réellement. Peut-être un gâteau? Un beau gâteau à la crème, légèrement parfumé à la vanille, avec quelques fraises pour décorer? Ca, ce serait trop bien! Sauf que généralement, on ne met pas de gâteau dans sa chambre. C'était donc tout content que Ryusaki attendait sa petite surprise... Et, bien étrangement, le sourire du jeune garçon retomba très vite lorsqu'il apprit la véritable nature de ce cadeau empoisonné. Qui était très loin d'être un gâteau à la vanille et aux fraises.

"Des devoirs supplémentaires?!? Mais? Pourquoi? J'ai rien fait d'mal, pourt... Ah. Ben. Je... Mais... D'accord."

Réflexion faite, le jeune garçon n'aimait pas ce professeur. Quel tortionnaire, quel genre de monstre inhumain s'amuserait à donner des devoirs supplémentaires, sans raison apparente et en dehors d'un cours? C'était de la violence gratuite! Avait-il tant de rancune à son égard de lui avoir mordu un bout de son bras pour lui infliger un tel châtiment? Alors que de toute façon, il allait avoir d'autres cours pendant ce temps là, d'autres devoirs... Et là, il y en avait même une pile bien pleine! Le jeune garçon le savait : Inutile de les dévorer, cela ne ferait que faire apparaître plus d'ennuis. C'est donc avec une moue qu'il accepta. Heureusement que le professeur lui donnait un peu de thé pour aller avec. Et le voilà qui le raccompagna jusqu'à la porte du studio.

"Mmmmh. A la prochaine, Takei-Sensei."

Le voilà ainsi mis à la porte, avec un tas de feuilles dans ses bras, que ce soit des feuilles de devoir ou des feuilles de thé. Le jeune garçon soupira, avant de tourner les talons et de marcher, tranquillement, vers sa chambre. Il n'était pas complètement complètement guéri, il lui faudrait encore un peu de repos, cependant, Ryusaki pouvait très bien marcher droit, et filer se reposer. Après tout, la journée avait été assez dure et touchait presque à sa fin. Peut-être reverrait-il bientôt celle qu'il aimait en secret. Peut-être qu'ils passeront une nuit merveilleuse, à discuter et éventuellement à partager quelque chose à manger. Et si ce n'était pas le cas... Le jeune garçon avait malheureusement de quoi s'occuper dans ses mains. Après tout, ces feuilles n'allaient pas se remplir toutes seules.