Depuis près d'une heure, Kurogami était en train de lire, allongé sur son lit. Soudain, il fut interrompu par le gargouillement de son estomac.

-Je devrais peut-être aller manger, pensa-t-il tout haut. Orochi! Viens, on va à la cafét'!

Il referma son livre et le posa sur son lit, se leva et mit son uniforme tadakien. Il bailla, tandis que son familier arrivait, son porte-monnaie dans la gueule. Kurogami prit le porte-monnaie, qu'il enfouit dans la poche de son uniforme, et gratifia son compagnon d'un sourire en guise de remerciement. Il dévala ensuite les escaliers du bâtiment annexe et sortit rejoindre le pensionnat en traînant un peu des pieds, son familier sur l'épaule.

Alors qu'il marchait dans le grand Hall, le jeune se dit qu'il fallait peut-être qu'il se fasse quelques amis, puisque cela faisait quand même trois ans qu'il était au pensionnat. En plus, ça lui permettrait de découvrir ce qu'avoir des amis pouvait bien signifier. Bien sûr, il avait des camarades de classe, mais ils n'étaient que ses camarades, rien de plus. Ils ne lui adressaient jamais la parole en dehors des cours.

Lorsqu'il atteignit la porte du réfectoire, il remarqua que la salle était quasiment vide, à l'exception d'une jeune fille aux cheveux blonds, assise à une table vide. Il se dirigea d'un pas tranquille vers elle, lorsqu'il se rappela qu'il avait oublié quelque chose d'essentiel : prendre un plateau et acheter quelque chose à manger!

Il rebroussa alors son chemin, et alla prendre un plateau, sur lequel il plaça divers mets, qu'il qualifiait "d'assez nourrissant". N'ayant jamais parlé à une fille seul à seul, hormis à sa mère, il ne savait pas du tout ce qu'il allait lui dire, ni même s'il allait lui dire quoi que ce soit. Orochi dû mordre l'oreille de son maître pour qu'il n'aille pas s'installer à une table à l'autre bout de la salle.

Ayant puisé assez de courage pour aller adresser la parole à cette jeune fille, il dit nerveusement :
- S-Salut, moi c'est K-Kurogami, et t-toi?

Le jeune homme déglutit et esquissa un léger sourire, avant de prendre une chaise et s'asseoir à côté de la jeune fille. Il était si nerveux qu'il dut faire des efforts pour contrôler ses tremblements, et pourtant, il était soulagé : son premier contact avec cette dénommée Zora ne s'était pas trop mal passé, et il ne s'était pas (encore) ridiculisé. Il était content. Son familier, toujours sur son épaule, le narguait silencieusement. *Toi... tu ne perds rien pour attendre!* lui dit-il, dans leur langue privée. Il pris une première bouchée de ce qu'il avait pris - deux tranches de boeuf arrosé d'une sauce au poivre onctueuse et accompagnés d'un peu de gratin de pomme de terre -, et se surprit à penser à voix haute "Zora... C'est un joli prénom Zora!". Il vira au rouge et s'étouffa presque, mais réussit quand même à avaler le contenu de sa gorge.
*Mais... Mais pourquoi j'ai dit ça... Pourquoi j'ai dit ça?! Elle va me prendre pour une espèce de pervers, un stalker dégoûtant! Non, non, non, après tout, je ne suis pas comme ça! Il n'y a rien de mal à complimenter une personne, si? Non, non! Il faut que je me calme, il faut que je me calme!* pensa-t-il, dans sa tête cette fois. *Allez, tu as 17 ans Kurogami, ressaisis-toi! Ce n'est jamais rien qu'une autre élève de ce pensionnat! Bon, dis quelque chose pour noyer le poisson!*
- A-Au fait, dans q-quelle année es-tu?
En le voyant dans cet état, Orochi ne put réprimer un sifflement railleur, que seul son maître put entendre.

Kurogami fut assez décontenancé lorsque la jeune demoiselle remit sa mèche de cheveux en place : il la trouvait jolie. Enfin, jolie, avec des atouts physiques plus remarquables que la plupart des jeunes filles en tout cas. *Elle a un joli sourire... Mais... Mais à quoi est-ce que je pense moi?! Ah la la... c'est le résultat de toutes ces années passées seul à observer les gens de loin, dans mon coin. Je ne sais définitivement pas me débrouiller socialement parlant...* pensa-t-il d'un air dépité. Il tenta néanmoins d'esquisser l'ombre d'un sourire avant de répondre :
-Je suis en 4ème année.
Puis, ne pouvant soutenir son regard plus longtemps, Kurogami fixa le contenu de son assiette et en pris quelques bouchées de plus. *Que devrais-je dire maintenant...? Hm... Dans ce cas-là, de quoi pourrais-je bien parler?* Il se souvint alors qu'un jour, un de ses camarades qui avait l'air de ne pas savoir quoi dire à son amie, lui avait finalement dit, après un court instant, "Il fait beau aujourd'hui, n'est-ce pas?", avec un large sourire sur le visage.
-Il fait beau aujourd'hui, n'est-ce pas?, dit-il d'une voix assez ferme, qui le surprit lui-même.
Reprenant un peu son calme, il pensa *C'est ça, c'est exactement ça! Si je continue comme ça, cette personne pourrait bien devenir mon "amie". Observer tous ces gens ne m'a pas servi à rien finalement, haha!* et, à l'instar de la jeune demoiselle, Kurogami lui rendit un petit sourire.

Voyant qu'elle s'en allait, Kurogami crut qu'il avait fait quelque chose de travers. Avant même qu'il ne s'en rende compte, il était sur ses deux jambes, debout, et avait attrapé le bras de la jeune fille. *Waaaaaah... mais qu'est-ce que je fais? Mais... mais... mais... Du calme, une personne normale réagirait probablement de la sorte!* Et, sans réfléchir :

-Eh... ne t'en vas pas, dit-il doucement, en la regardant dans les yeux. Est-ce que... est-ce que j'ai dit quoi que ce soit de mal?

Puis, remarquant qu'il tenait toujours son bras, Kurogami le lâcha immédiatement *Zut! Est-ce que j'ai été trop direct...? Elle va me prendre pour un violeur ou une sale brute... Si seulement je pouvais revenir en arrière... Rah! ... bon, il faut que je me rattrape!* et dit d'une voix qui se voulait douce :

-Tu sais... Je t'aime bien, tu as l'air gentille! J-J'aimerais bien... en savoir plus sur t-toi... et aussi... q-qu'on devienne amis!

Le jeune homme ajouta, avec un sourire gêné "Je suis sincèrement désolé si jamais j'ai fait ou dit quoi que ce soit de travers..." Désolé... ça, Kurogami le serait, s'il advenait qu'il se fasse haïr par la seule personne à laquelle il avait adressé la parole en dehors des cours...

*En effet... J'espère qu'elle voudra bien me pardonner si j'ai été trop brusque... Elle a vraiment l'air sympa, j'ai pas envie qu'elle me haïsse... Et puis... elle pourrait bien devenir ma première amie...* A cette pensée, il rougit un peu, et remarqua qu'Orochi, au lieu de le narguer comme d'habitude, attendait impatiemment la réponse en fixant la jeune fille.

"J'allais juste vider mon plateau"... "J'allais juste vider mon plateau"... Ces mots résonnaient dans la tête de Kurogami depuis quelques instants. *Mais qu'est-ce que je me suis imaginé? Elle doit me trouver super bizarre maintenant... Flûte! Je suis décidément trop doué pour comprendre les gens... Quel idiot je suis! Ah la la...* Et il soupira, trouvant la manière dont il s'était emporté très bête. *Au moins, elle a accepté d'être mon amie... Ah! Je sais! Une confidence lui donnerait peut-être plus confiance en moi!*

Soupirant de nouveau, il allait parler lorsqu'il vit que son familier se moquait ouvertement de lui, en répétant les dernières paroles que Kurogami avait prononcée, le tout, avec une voix des plus ridicule. *Hé! J'ai quand même pas une voix comme ça!* Puis, en y réfléchissant de plus prêt... *Enfin, je n'ai quand même pas une voix si horrible, si?* La seule réponse qu'il reçue fut un sifflement railleur de la part d'Orochi *Espèce de petit... Tu vas voir quand on sera de retour dans la chambre!*

Soudain, il réalisa qu'il n'avait rien dit depuis trop longtemps selon lui, et se rappela ce qu'il voulait lui dire, avant d'être interrompu par cette langue de vipère d'Orochi.

-Au fait... Ahem... Je n'ai jamais vraiment eu d'ami... T-Tu dois être ma première amie... Alors faisons une promesse, celle de toujours être honnête l'un envers l'autre, et de toujours être là pour l'autre!, dit-il avec un large sourire aux lèvres.

*Ce n'est pas assez*, pensa-t-il, et il rajouta aussitôt :
-Je t'accepterai telle que tu es! Les moments tristes, les moments heureux, je les partagerai tous avec toi!

Lorsqu'il aperçu les yeux roses de Zora se mouiller, Kurogami ne sut pas quoi faire *Et crotte, zut, flûte, j'ai encore dit quelque chose qu'il fallait pas... J'y suis peut-être allé trop fort là... Euh... Vite, vite, faire quelque chose...* Etrangement, il repensa au moment où la jeune fille s'était mordue la lèvre inférieure *Qu'est-ce qu'elle était craqu- Mais à quoi je pense là? Elle est en train de pleurer! Et c'est sûrement ta faute, Kurogami Noah! Peux-tu encore te prétendre homme après avoir fait pleurer une jeune fille?!* Il était vraiment déboussolé, et ne sachant que faire, il dit doucement :

"... Est-ce que ça va? Si j'ai été un peu trop direct, j'en suis désolé... Je suis juste vraiment heureux d'enfin avoir une a-amie." Ce terme sonnait étrange à son oreille, mais il en était heureux.

Il se tourna vers Orochi, qui l'interpellait dans leur langue.
*Hé, espèce d'idiot, elle est heureuse, HEU-REUSE! Allez, dis quelque chose pour changer de sujet, avant qu'elle n'inonde la salle!*
*Mais... attends, quoi?! Enfin, oui, bon, euh, oui, je vais faire ça.*

Il posa ses deux mains sur les épaules de sa nouvelle amie et l'éloigna de deux trois centimètres; la proximité de leur corps l'avait fait virer au rouge. Souriant tendrement, il dit :
"Alors c'est décidé, à compté de ce jour, nous nous raconterons tout, nous serons toujours là l'un pour l'autre; nous sommes amis!"
Au fond de lui, Kurogami était vraiment heureux, et il eu toutes les peines du monde à retenir un cri de joie.