J'observai, d'un œil désabusé, les autres élèves écouter avec attention les consignes du professeur de sport. Je levai les yeux au ciel et soupirai longuement. Pourquoi devions-nous faire ça ?  A quoi cela pouvait-il bien servir de faire du basket, de la course d'endurance ou de la piscine, à part à canaliser l'énergie de quelques abrutis surexcités ? C'était les questions que je me posai à chaque cours d'eps.

Le sport, je détestais ça. Cette matière faisait partie de ma longue liste des choses que je ne supportais pas. Elle avait même réussi à grimper jusqu'à la troisième place de cette fameuse liste, juste après les gens pauvres et les heures de colle.

Mais il n'y avait pas que la discipline en elle-même que je détestais. Il y avait aussi ces vêtements que l'on nous obligeait à porter, moches et inconfortables. Et la cerise sur le gâteau, c'était les vestiaires. Ces petites pièces sombres où l'on pouvait encore sentir le passage des classes précédentes. Une véritable odeur de sanglier crevé !

Je restai alors seule dans mon coin, regardant exaspérée, mes camarades courir après un ballon de basket. Ils avaient l'air de véritables animaux de foire. Je poussai un ricanement moqueur en les regardant faire. Mais les observer s'échauffer avait plutôt tendance à me lasser rapidement.

- Hé Yamazaki ! Attrape ! cria un élève en lançant un ballon dans ma direction.

Je tournai ma tête et rattrapa le ballon de justesse, avant qu'il ne rencontre violemment mon visage. J'adressai un petit sourire hypocrite au garçon qui avait tenté de m'intégrer à l'équipe. T'avais-je demandé quelque chose ?! Je ne crois pas non ! Je pris un peu d'élan et je balançai laborieusement la balle en direction de l'élève. Il ne réussit pas à la rattraper, tellement ma passe avait été nulle. Le garçon courut après le ballon, qui roula jusqu'au fin fond du terrain.

- C'est ça, vas-y cours le rattraper, me moquai-je dans ma barbe.

Je retournai dans mon coin tranquille, puis tournai la tête vers les fenêtres, qui donnaient une jolie vue sur l'extérieur. Je soupirai encore une fois.

- Quand je pense que je pourrais être entrain de récolter quelques kamas en vendant mon pouvoir, au lieu de perdre mon temps ici... murmurai-je.

Soudain, une idée me vint à l'esprit. Pourquoi ne quitterai-je pas ce fichu cours de sport ? Qu'est-ce qui m'en empêchait ? Pas mes camarades en tout cas, pour le peu que je leur parlais, certain ne connaissait même pas mon prénom. Je jetai alors un regard au professeur Aybara. Il était occupé à expliquer quelque chose à une élève. Parfait, il ne remarquerai sous doute pas mon absence. Et si ça se trouve, il ne me connaissait pas non plus, vu à quel point j'étais passive dans son cours.

N'attendant pas une seconde de plus, je me dirigeai vers la porte de sortie, ni vu, ni connu, en espérant que personne ne me voit.
 

Tentant d'être la plus discrète possible, je me dirigeai vers l'une des sorties du gymnase. Adieu ballon de basket, adieu cours inutile ! Je m'imaginais déjà être en compagnie de Fox, mon familier, à patrouiller dans le pensionnat en quête de pauvres élèves naïfs à arnaquer. Mais alors que je posais ma main sur la poignée de la porte, une voix stricte m'interpella. Je me figeai telle une statue pendant quelques secondes. Cette voix... C'était celle du professeur Aybara. Cela ne faisait aucun doute.

- Besoin d'aller à l’infirmerie après s’être tant entraînée mademoiselle Daisuke Yamazaki ? demanda-t-il, glaciale avec une pointe d'ironie. Ou vous avez finalement décidé de sécher le cours de sport ?

Je me retournai doucement, la mâchoire crispée par l'agacement de s'être fait prendre. Aybara se tenait là, devant moi, les bras croisés.

Ce prof, je ne l'aimait pas non plus. Tout comme sa discipline. Il était impitoyable et sévère. Mais ce n'était pas ce qui me préoccupait le plus à vrai dire, puisque beaucoup de professeurs étaient comme lui, stricts, et j'en avais vite pris l'habitude. Ce qui me dérangeais chez lui, c'était son masque. Purement et simplement. Il n'y avait aucun moyen de connaître à l'avance ses pensées et ses réactions et c'était insupportable... Déstabilisant. Je ne savais pas d'où lui était venue cette idée, mais il fallait être un sacré tordu pour porter un masque de pierrot durant les cours.

Je le fixai dans les yeux, la seule partie visible de son visage... Dieu que c'était déboussolant ! Je décidai finalement de ne pas le fixer de cette manière. Cela ne me ressemblait absolument pas mais je le fis quand même.

- Professeur Aybara, dis-je avec un petit sourire forcé. Je m'en allais tout simplement aux toilettes...

Je m'arrêtai de parler lorsque je me rendis compte que l'entrée des toilettes étaient justement à l'autre sortie, à l'autre bout du gymnase. Quand je disais que ce professeur était déstabilisant, c'était pas du flan ! Je me donnai une claque mentale avant de reprendre mon excuse.

- Non, en fait je vais juste prendre l'air, je ne me sens pas très bien... déclarai-je finalement en posant une main sur mon ventre et en fermant les yeux, l'air nauséeuse.

Je rouvris les yeux en silence, attendant la réponse de mon professeur.

Silencieuse, j'attendais une réponse du professeur Aybara. Très franchement je m'attendais à une remarque cinglante de sa part. Il fallait dire aussi que d'habitude, je me débrouillais mieux que ça pour trouver une excuse bidon.

- Bien, dit-il finalement. Vous pouvez prendre l'air quelques minutes.

Pas de remarque désobligeante ? Bon, très bien. Ce n'était pas moi que ça allait déranger. Mais... Le terrible prof de sport s'inquiéterait-il pour ses élèves finalement ? C'était une possibilité intéressante que je pourrai peut-être tirer à mon avantage, qui sait ? Mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, il repris la parole.

- Mais d'abord... Je sors quelques instants, dit-il à haute voix, en direction de la classe. Si j’entends le moindre bruit suspect en dehors des bruits de baskets et des balles, toute la classe sera châtié.

Comment ça "Je sors quelques instants" ? Cela voulait dire qu'il m'accompagnerait dehors ?! ... Aujourd'hui, je n'avais vraiment pas de veine. Comment j'étais censée quitter le cours de sport, si ce fichu prof me suivait comme un petit chien ? Mon plan de départ ne se déroulait absolument pas comme prévu. J'allais devoir encore une fois improviser.

- Allons-y.
- Super... marmonnai-je.

Il ouvrit la porte et je le suivis à l'extérieur du bâtiment, en arborant sur mon visage un air contrarié. Une fois dehors, je fis semblant de reprendre mon souffle pour accentuer mon image de fille malade.

- Vous n’êtes censé avoir un pouvoir de guérison pour vous guérir ? me demanda-t-il. Ou peut être que vous êtes trop gênée de l'utiliser devant la classe?

Bien sûr que j'avais un pouvoir de guérison ! Que j'utilisais régulièrement sur moi, d'ailleurs. Mais il m'était impossible d'utiliser ma magie sur quelqu'un de parfaitement sain. Elle ne fonctionnerait pas.

- Oui c'est ça, acquiesçai-je. Devant toute la classe c'est... c'est gênant.

Aybara continua de me fixer, attendant que j'utilise mon pouvoir, ici et maintenant. Cependant j'étais au mieux de ma forme et me servir du Green Healing m'étais impossible. Je me tournai vers mon professeur, feignant un air timide qui ne me ressemblait pas.

- Vous pouvez vous retourner ? demandai-je d'une petite voix. Vous m'embarrassez professeur. Votre regard rivé sur moi... On dirait celui d'un pervers.

J'éclatai de dire au plus profond de moi. Qu'allait-il bien pouvoir me répondre ? Je finirai par me débarrasser de ce prof et sécher son cours inutile, foi de Daisuke Yamazaki !

Le professeur Aybara posa sa main sur mon front, à ma plus grande surprise. Il ne me laissa pas le temps de réagir, face à ce geste que je n'appréciais pas spécialement.

- Tu n'as pas de fièvre huh, conclut-il. Embarrassée ou pas, guéris-toi sur le champ si tu en as la capacité. Une personne t'observe bien quand tu la guéris, alors ce n'est pas la première fois. Tu devrais en prendre l'habitude pour ton propre bien et celui des autres.

Nyééé ?! Que venait-il de dire, là, à l'instant ?! Et moi qui pensais réussir à le déstabiliser ne serait-ce qu'un peu, en insinuant qu'il était un pervers... Utiliser mon pouvoir alors que j'étais en parfaite santé m'étais impossible. Et s'il ne se passait rien, je n'aurais absolument pas l'air crédible. Et d'après ce que j'avais pu voir, le professeur Aybara n'avait pas l'air si naïf, en fin de compte.

J'inspirai longuement puis plaçai ma main sur ma poitrine, tout en lançant quelques regards discrets et méfiants à mon aîné. Logiquement, une belle lumière verte aurait dû s'échapper de ma main mais rien ne se fit. Je bâtis alors vivement des paupières pour faire genre ''Houlala, je suis en transe, je guéris". Puis je rouvris les yeux, faisant comme si j'allais beaucoup mieux.

- Voilà, dis-je sans réelle conviction mais en affichant tout de même un petit sourire soulagé.

Mais tout ceci me ramenait inévitablement à mon problème numéro un. Je faisais comment maintenant pour m'enfuir de ce cour ?! ...Bordel !

A
ybara pencha sa tête sur le côté, perplexe. Se méfiait-il encore ? Moi qui pensait que se prof était juste un imbécile... Et bien non, il était super chiant en plus !

- Bizarre, dit-il.

Un silence s'installa entre nous. Apparemment ma fausse démonstration lui avait coupé le sifflé. Je le regardais, tout en mettant mes mains dans mes poches, signe pour dire s'il pouvait me laisser tranquille à présent. Mais visiblement il n'en avait pas l'intention. Il avança alors sa main vers moi. Je ne pus m'empêcher de lever un sourcil, croyant qu'il voulait me serrer la main.

- J'ai une petite coupure sur le doigt en cuisinant il y a quelques jours... me dit-il finalement. Tu peux me guérir ça pour que je vérifie quelque chose ?

Je regardai sa main plus en détail et vis sa fameuse coupure. Il était sérieux là ? Son intention était claire à présent. Il voulait tout simplement que je me démasque en utilisant ma véritable magie. Mais malgré moi, mon côté ''business is business" reprit le dessus.

- Cela vous coûterez moins cher de mettre un pansement, répondis-je.

Pour une fois ce que je venais de dire était la pure vérité. Je n'avais encore jamais soigné quelqu'un gratuitement depuis mon arrivée à Tadakai, et ce n'était pas maintenant que ça allait commencer.

- C'est vous qui voyez, dis-je en levant les épaules.

La main de mon interlocuteur se crispa. Avait-il était choqué par mes propos ? Toujours est-il qu'il laissa retomber son bras. Si j'avais pu, j'aurais sûrement pouffé de rire, mais le moment était plutôt mal choisit. Aybara sembla réfléchir un instant.

- Oooh. Donc tu fais payer tes soins si je comprends bien, dit-il sur un ton neutre. Je me demande bien si c'est autorisé ?

Autorisé ? ...Je ne m'étais jamais posé la question. Et même si ça ne l'était pas, mon goût pour l'argent était bien trop important pour que j'arrête ma petite affaire. De l'argent, il m'en fallait toujours plus. C'était une obsession chez moi. Une maladie que mon pouvoir ne pouvait guérir.

Je décidai de ne pas répondre à sa question et levai simplement les épaules en signe d'ignorance. Il se pencha alors vers moi et plongea ses yeux dans les miens.

- Combien fais-tu payer pour une telle broutille ? Fit-il en mettant son doigt entre nos regards.

Je souris, ne m'attendant absolument pas à cette question de la part de ce professeur. Ce sujet était le miens et j'allais lui répondre en toute franchise.

- Et bien, pour une coupure comme celle-ci, c'est 10 kamas, déclarai-je. Enfin, ça dépend des personnes... murmurai-je finalement dans ma barbe.

Ce prix me semblait plutôt honnête, en tout cas de mon point de vue. Mais si ce prof était près à débourser, j'était prête à le soigner quand il voulait, au risque de me faire avoir dans ma tentative de fuite. Les kamas valaient toujours le coup ! Mais un jour il se pourrait bien qu'ils causent aussi ma perte... Qui sait ?

- Vous êtes intéressé ? demandai-je quand même.

Le prix de ce minuscule soin le laissa sans voix. Et oui, la santé était devenue cher, presque un luxe. Enfin, surtout avec moi dans les parages. Mais cela ne m'empêchait pas de trouver régulièrement des pigeons pour m'en mettre plein les poches.

Le professeur Aybara ne semblait pas spécialement intéressé par ma proposition pourtant attirante.

- Pas vraiment, dit-il en levant ses épaules. Mais si j'ai besoin de soin plus conséquent, j'y penserai.
- Je serais ravie de faire affaire avec vous professeur, m'exclamai-je en souriant.
- Maintenant que tu vas mieux, retournons à l'intérieur.

Mon sourire s'effaça aussi vite qu'il était venu et fut remplacé par mon habituel air blasé. Je soupirai longuement, extrêmement déçue de retourner à l'intérieur de ce fichu gymnase. Aybara ouvrit la porte et reposa son regard sur moi.

- A toi l'honneur, fit-il. À moins que tu ne te sentes toujours Mal ?

Je continuai de le regarder, sans pour autant ouvrir la bouche. Etait-ce une question piège ? Faire encore semblant d'être malade risquerait d'être bien trop suspect et plus crédible du tout. Je réfléchis un instant à ce que j'allais bien pouvoir lui répondre. Je jetai un coup d’œil rapide à ma montre et aperçue que ma petite "sortie" avec mon professeur avait déjà duré un bon bout de temps. Au final, la sonnerie n'allait plus tarder à retentir dans tout Tadakai.

- Non c'est bon, laissez tomber, dis-je en fendant l'air avec ma main.

Je me dirigeai vers la porte et rentrai sans broncher. Finalement, jouer avec ces ballons pendant les dix petites minutes de cours qui restaient, n'allait pas me tuer. Je n'avais pas réussi à m'enfuir du gymnase, mais j'avais au moins évité une grosse partie de ce cours et je n'en n'étais pas peu fière !

- C'est aimable à vous de m'avoir accompagné dehors, professeur, déclarai-je avant de m'en aller retrouver les autres élèves de ma classe.