Bryne soupira, assit à son bureau. Encore un étudiant qui avait cassé son tube a essais durant une expérience peut-être un peu trop dangereuse pour des quatrièmes années. Il y avait du verre partout maintenant. Et les autres riaient, comme si cela était amusant. Heureusement que la dernière heure était bientôt terminée. Aujourd’hui, pas moins de deux sets de verrines avaient été brisés. Même si l’école le finançait, il finirait par avoir des problèmes à commander chaque mois des tonnes de matériel. Et ce que le jeune professeur ne voulait pas, c’est avoir affaire avec l’administration. Encore des gens qui allaient lui courir après. Cela n’allait guère lui accorder un peu plus de tranquillité.
Et la tranquillité, il l’avait lui-même abandonné aujourd’hui. Il avait vérifié son nom sur la liste d’appel, mais Neriel Aulendil était bien l’une de ses élèves. Cette dernière était d’ailleurs assise au fond de la classe, ne semblant guère attentionné par ce qu’il disait. Le jeune homme s’en fichait pas mal à vrai dire. Le cours se termina vite, il lâcha ses élèves un peu plus tôt pour avoir le temps de nettoyer sa salle.

Neriel était encore au fond de la classe : elle semblait n’avoir oublié son invitation quelques heures plus tôt. Celle-ci ne semblait pas être très sociable, même avec ses camarades. Une noble jusqu’au bout. Sans trop se préoccuper d’elle, Bryne s’en alla chercher dans une petite pièce adjacente de quoi ramasser le verre et nettoyer les tables. Revenu, il entreprit de rendre à sa classe sa propreté d’antan, travaillant dans une atmosphère légèrement étrange. Même Roda le sentait, à tourner autour de lui comme un excité. « Eh dit, pourquoi elle reste la fille là bas ? Et pourquoi elle semble si froide ? » Pour toute réponse, le professeur empoigna son fennec pour le mettre sur ses épaules ; qu’est-ce qu’il pouvait être curieux lui. « Je te répondrai tout à l’heure. » Et en guise de remerciement, le petit animal mordilla le bout de son oreille, changeant par la suite de forme pour planer vers l’étudiante. Il se posa sur sa table, oreilles dressées sur sa tête, l’observant sous toutes ses coutures.« Elle est plutôt mignonne en plus, t’as de la chance Bryne. »

Nouveau soupir, cette fois-ci le jeune homme posa son balai. Jamais tranquille. Il se dirigea vers Neriel, lui offrit malgré tout un sourire. Il ne voulait se montrer méchant, et sa demande n’en avait pas le fond. Il passa une main dans ses cheveux, recoiffa ceux-ci à la va-vite. Elle la regardait ; sa phrase semblait y montrer là qu’il avait toute son attention. Appuyant le bas de son bassin contre le bord d’une table en face d’elle, Bryne prit la parole, ne voulant y aller par quatre chemins.

« Lorsque j’ai feuilleté ton livre tout à l’heure, j’ai remarqué qu’il était assez... incomplet. En fait, pour sa grosseur il me parait bien trop maigre en information. Je ne sais pas ce que tu cherches, mais cherche autre part en parallèle. »

Il n’avait cherché à lisser ses propos, il trouvait réellement que ce livre ne valait pas la peine d’être lu. Si Neriel prenait en compte sa remarque, tant mieux. Sinon, cela n’était guère important. Il passa sa main sur le pelage de Roda gentiment. Bryne avait fait de nombreuses recherches, avait lu des centaines d’ouvrages. Il savait ainsi reconnaitre les bons des mauvais. Il savait analyser en quelques instants, repérer ce qui allait lui être utile.

« Au fait, ne prends pas compte de l’histoire du bâton. J’ai déjà oublié. »

Peut-être voulait-il paraître pour quelqu’un de sympa envers ses élèves. Même s’il n’aimait pas son statut de professeur, cela ne lui donnait pas la permission de les traiter comme des déchets. Eux aussi avaient un but. Un sourire fleurit une fois de plus sur ses lèvres. Bryne l’était, au final.

Elle-même reconnaissait que son livre était inutile, ce qu’apprécia le jeune homme. Il aimait avoir raison, et se faire écouter ainsi était agréable. Elle souriait. C’était bien la première fois que Bryne voyait ça, et il en était presque étonné. Au fond, il était bien curieux d’en apprendre plus sur Neriel ; cette fille l’intriguait. Sans un mot de plus, le jeune professeur s’en retourna à son ménage, même si celui-ci était presque terminé. Il laissa l’élève vaguer à ses occupations, c’est-à-dire s’assoir au bureau du professeur. Peut-être était-ce déplacé, bien que Bryne s’en fichait royalement. Ce n’était pas à proprement parlé son bureau, ainsi si elle voulait simplement provoquer, cela était raté.

Neriel lui demandait de l’aide. Ce qu’elle prononça par la suite était légèrement amusant. Non, la vérité était que Bryne avait prit tout les livres plus intéressant. Cela datait de son époque où il était encore étudiant ; il avait emprunté à la bibliothèque des livres sur la chimie, en oubliant malencontreusement de les rendre. Ils devaient encore trainer sous son lit. Pourtant, il se garda bien de lui dire cela. Même s’il acceptait de l’aider, là n’était pas la question de tout lui dévoiler. Ses recherches lui étaient trop précieuses.

Cependant, lorsqu’elle reprit la parole pour parler de lui, Bryne eut un visage bien pensif. Que savait-elle réellement ? Il était vrai qu’il n’appréciait pas réellement se savoir épier. Ne pouvait pas-t-il être tranquille ? Il fallait croire que non.
Son ménage était dorénavant terminé. Il rejoignit Neriel à son bureau, rattroupant ses affaires. Roda s’était de nouveau nicher sur son épaule, écoutant sagement la conversation. Cela en était presque bizarre. Que lui arrivait-il, à lui aussi ?  

« Je ne peux pas vous aider à partir de rien, malgré tout vous fournir des explications si je n’ai pas trop de travail me semble faisable. » Par travail, il entendait par là ses recherches. Son travail de professeur était peu intense. Mais ça, peut-être que son étudiante le savait déjà. Il reprit : « Mais d’après ce que je vois, vous en savez beaucoup sur moi. Alors… pourquoi pas vous aidez oui. »

Il ne savait pas trop quoi dire. Il n’aurait pas pensé qu’aujourd’hui il allait dire ce genre de chose. Mais pourquoi pas, casser la routine n’était pas quelque chose de nocif pour Bryne.

« Au final, la chimie et l’alchimie se ressemble. On l’étudie plus qu’on ne le pense. » Rajouta-t-il sans même y réfléchir, comme ça.

Il l’observa se lever, sortir un éventail de sa poche. Il la regarda se diriger vers la sortie, alors que son caniche lui reniflait son pantalon. Il n’aimait pas les chiens. Bryne passa une main dans ses cheveux ; un tique lorsqu’il ne savait quoi faire, lorsqu’il réfléchissait. Ses yeux carmin n’avaient quittés la silhouette de son élève qui se prétendait ravie. L’était-elle vraiment ? Son attitude était réellement étrange, le jeune professeur n’accrochait pas trop. Un coup froide, un coup charmante, il ne savait guère quoi penser d’elle a par qu’elle semblait jouer son jeu de noble à chaque instant. Au final, cela ne le regardait pas et il ne devait pas se préoccuper de ses manières. Ce n’était qu’une étudiante, que son élève.

« Moi de même » Répondit-il sans trop quoi dire ; il fallait dire qu’il ne savait guère dans quelle genre de situation il s’était fourré. Cela était rare pour lui de proposer son aide ainsi. En plus à une élève dont il s’en fichait éperdument, celle-ci ne participant même pas à son cours. Même s’il n’aimait pas son travail, sa conscience l’obligeait à faire de son cours quelque chose d’intéressant, d’instructif. Peut-être d’un niveau un peu trop élevé pour des étudiants, mais pas un ramassis de connerie comme on pourrait le voir dans d’autres matières.

« Mh non, je ne serai pas à mon studio ce soir. Ici, cela sera plus simple. » Fit-il avant qu’elle ne s’en aille comme un coup de vent. En effet, Bryne pensait que cela était plus simple. Très étrange, cette élève. Il n’était cependant pas question de l’inviter dans sa sphère de vie privée pour le moment. Il voulait bien l’aidée, certes, mais pas au point de tout lui accorder. Il avait besoin de cette salle, de toute façon. Il n’aimait pas l’ambiance de sa chambre pour travailler, il n’arrivait pas à se concentrer.
Ainsi le jeune professeur quitta à son tour la salle de cours, vaquant à ses occupations habituelles. La fin de journée était déjà là, et il n’avait presque pas avancé dans ses travaux. Il devait, de plus, corriger un paquet de copies de ses premières années. Encore une soirée si plaisante en vue. Surtout s’il devait consacrer une partie de son cerveau à Neriel pour l’aider dans ses recherches.

Il rejoignit ses collèges, mangea tranquillement en leur compagnie. Bryne n’était pas un associable qui ne vivait sa vie qu’avec lui-même. Avant de retourner à la salle, il passa à sa chambre pour prendre quelques affaires et bouquins pour son élève. En plus de son cher paquet de copies. En quelques minutes il arriva à sa salle de physique-chimie ; il n’y avait encore personne. Il fallait dire que le jeune professeur n’avait pas de temps à perdre s’il ne voulait se coucher à une heure tardive. Son fennec dormait déjà sur son épaule, il était vite épuisé lors d’une journée de cours. Ne pouvant retenir un sourire face à ce spectacle mignon, Bryne s’installa à une table au hasard, commençant la correction des contrôles. Il posa délicatement son cobaye à côté de lui ; il ne voulait déranger sa sieste avec un faux-mouvement.

« Tu crois qu’elle viendra, la fille de tout à l’heure ? » Il semblait s’être réveillé, malgré tout.
« On verra bien. Dors mon petit cobaye, je te raconterai tout ça de toute façon. »
C’est ce qu’il fit et très rapidement, le jeune homme avait bien vu que son familier était fatigué. Lorsqu’il entendit un bruit de pas dans le couloir, le jeune homme haussa un sourcil, ne détournant pourtant pas son regard de sa feuille. Cet élève était si con, il frôlait presque le zéro pointé. Ou alors il était dans sa période rebelle-je-ne-fais-rien. Peu importe.

Elle passa le seuil de la porte, se dirigeant vers lui. Au final, elle était bien venue à ce petit rendez-vous non galant. Sans attendre, cette dernière s’installa à sa table déjà bien encombrée, juste en face. Si l’on enlevait l’atmosphère étrange et l’ambiance de travail, cette entrevue aurait bien pu être plus plaisante.
Neriel le salua, faisant un commentaire qu’il partageait sur son travail. Elle avait raison ; les premières années n’étaient pas très intelligentes cette année. Mais cela ne le dérangeait pas, son statut de professeur ne lui avait pas été donné pour rien. Il allait les aider à progresser. Il posa la feuille corrigé sur le petit paquet, en prenant une autre en passant. Cela était presque machinal, un travail répétitif et facile à faire. Le boulot de professeur était vraiment bien. Du temps libre, des vacances, la tranquillité. Tout ce dont Bryne pouvait espérer de sa vie, bien qu’il advienne quelques fois de légères complications.

« Bonsoir » Répondit-il machinalement, remontant quelques instants plus tard ses prunelles sur la jeune fille.

Mais au final, son boulot de professeur lui donnait-il réellement une liberté d’agir ? Etait-il réellement libre ? Neriel elle-même lui posait là question ; question à laquelle il ne répondit pas sur l’instant même. Il laissa les secondes s’écouler, faisant mine de terminer la correction de son exercice. Peut-être réfléchissait-il simplement. De toute façon, Bryne n’était pas enclin à faire partager son fardeau à qui que cela soit.

« Ne t’en fais pas pour ça. » Commença-t-il. Il posa son crayon, s’autorisant un instant de répit. Il reprit : « Je peux aisément faire les deux en même temps, corriger des premières années n’est pas difficile. »

De toute façon, il ne lui restait que deux-trois copies, rien de bien alarmant pour le reste de sa soirée. Passant une main dans ses cheveux, il offrit sa pleine attention à son élève. Il était calme, comme cette soirée d’ailleurs.

« Que puis-je donc faire pour toi ? »