Il y avait une chose dans ce jardin qui semblait venir d’ailleurs, . Et ce n’était autre que cette silhouette multicolore où un petit être mono-chrome semblait danser au rythme de ses pas. Tous deux semblaient paisiblement profiter de cet air frais et revigorant. Elle était bien plus âgée que la majorité des élèves, et la petite chose semblait-quand à elle- bien moins enjouée que les plus récalcitrants des esprits à mater de Tadakai. Parfois on pouvait la voir se pencher, bas, si bas qu’on aurait pu se dire qu’elle allait tomber à la renverse. Mais elle finissait toujours par se relever avec un ample sourire. C’était une présence nouvelle, singulière, voire même délirante. Après tout, n’aurait-elle pas été vue maintes fois en train de tourbillonner sans raison ni musique ? Les allemands. Quels sacrés numéros ! Vraiment !

-Alors. On va rester longtemps ici ? J’vais prendre des couleurs à force-
« Très amusant, Hanz. Vraiment très amusant. »
-J’ai pas envie de rire-
« Il faudra bien. Regarde, il fait beau et les énergies sont en notre faveur. Quelque chose de grand va arriver. Je le sens. »
-T’es cinglée. –
« Çà ne fait aucun doute. »

Et c’est plus souriante encore qu’elle salua un des troisième année qui lui passa à côté. C’était bien trop improductif, il n’y avait que peu d’insectes, elle choisit donc de se placer sur un banc avec son calepin préféré afin d’observer un groupe d’hybrides qui discutait. Elle cherchait à déterminer s’il y avait une manière de faire particulière. Quelque chose qui les différencierait assez pour justifier les horribles traitements qu’ils ont eu à subir. Elle avait beau y regarder de plus près, il n’y avait rien qui les différenciait des autres. Certes ils avaient pour certains des oreilles, et d’autres des éléments bien étranges, mais ils riaient comme les autres, et surtout se cherchaient querelle comme n’importe quels autres adolescents. Elle finit par se lasser et dessina la scène avec application.

-Allez, y a rien à voir, tu vois bien ?-
« Tu dis toujours ça. Toujours. »
-C’est parce qu’il n’y a jamais rien à voir-
« Tais toi pour voir ? »
-…-
« Ah oui, c’est beaucoup mieux, merci ! »

Au moins, lorsqu’il faisait la tête, elle était tranquille. Elle se perdit dans ses observations aussi inutiles qu'inintéressantes. Hans lui espérant qu'il se passe quelque chose autant qu'il priait pour qu'il ne se passe rien. Il n'était jamais content de toute façon.

-Mais quelle gourde-
« J'ai tout entendu. »
-...-

Elle savait que Hanz n’était pas la créature la plus diplomatique de la création. La plus fine non plus, et certainement pas la plus douce. Mais elle le pardonnait facilement. Et pas seulement à cause de ce lien déplaisant qu’elle supportait depuis sa jeunesse. Ils avaient vu du paysage ensemble, et dieu sait qu’elle avait tout fait pour le faire changer d’avis. Rien. Rien du tout. Et elle aurait même mis sa main à couper par rapport au fait que ça l’avait au contraire rendu plus hargneux. A force de constater la misère du monde, il n’avait pu que se rendre à l’évidence. L’humanité était pourrie jusqu’au trognon, et celle à qui il était lié n’était même pas fichue de le voir.

Sigfried bougea légèrement son écharpe sur son cou. Il faisait certes particulièrement bon, mais elle ne pouvait pas se permettre de tomber malade. Jamais. Elle aurait bien aimé être chanteuse d’Opera, mais sa voix ne lui avait jamais permis. Et maintenant c’était trop tard. Elle manquait tout autant de talent que d’entraînement. Oh bien sur elle faisait comme tout le monde, il lui arrivait souvent de chanter sous la douche, mais rien de bien mirobolant. Elle ne pourrait pas en vivre, c’est évident.

« Tu sais que tu n’en feras jamais rien de tes élèves ? »
« J’en faisais partie je te signale. »
« Et qu’est ce que tu as apporté au monde ? »
« Je leur offre le savoir qui précède l’expérience. »
« Ouais, donc, rien en somme. »
« Tu ne comprendras jamais rien n’est ce pas ? »
« Non. »

Les conversations n’en étaient pas vraiment, et se terminaient toujours comme ça. Toujours. Heureusement, elle fit sortie de ce mauvais pas par le sourire d’un blondinet bien accompagné. Les deux la gratifièrent gracieusement de marques de salutations distinguées. Elle remua légèrement son écharpe, et le salua théâtralement, d’une voix bien trop aigüe.

« Bonjour ! Me voila ravie de faire votre connaissance. Sigfried Schwarz. Professeur fraîchement revenue d’Allemagne pour votre plus grand plaisir. »

Elle aurait très facilement pu lorgner sur la place de professeur de théâtre. Elle continua, articulant bien trop et surtout en gesticulant assez pour l’enrhumer :

« Asseyez-vous donc ! Ou plutôt non, marchons ? J’aime apprendre à connaître mes collègues ! »

Sigfried ne faisait rien à moitié. C’était un art de vivre plus qu’une philosophie. Bien entendu ce n’était pas facile à vivre tous les jours, mais elle n’était certainement pas femme à abandonner. Mais, si elle en rajoutait volontiers, elle ne laissait jamais le moindre détail au hasard. Par exemple, dans son mouvement à la fois ample et saccadé, elle avait laissé un de ses yeux au moins parcourir une nouvelle fois son compagnon d’infortune. Il avait l’air particulièrement bienveillant. Ce qui de ce fait le rendait louche. Mais elle en saurait plus très bientôt, à n’en point douter.  Elle reprit donc une position à peu près normale, après un nouveau petit déplacement d’écharpe. On aurait facilement pu penser à un toc, d’ailleurs, elle en était bourrée.

Hanz soupira. Non pas parce qu’il n’avait pas été présenté, mais plutôt parce qu’il la connaissait assez bien pour en être excédé. Sigfried en était persuadée, il aimait bien ça, être excédé. On ne peut l’être aussi souvent sans que ce soit volontaire, ou par péché. Sigfried quant à elle avait une sainte horreur de retourner en arrière. Un autre trait de caractère bien handicapant. Que ce soit pardonner un ancien ami, une vieille erreur ou plus simplement s’asseoir de nouveau après s’être levée lui était totalement impensable. Voici donc pourquoi elle avait préféré commencer à marcher. Elle n’expliquait jamais ses agissements, ça contribuait grandement à sa légende. Il y aurait tant de choses à écrire.  Il avait accepté, grand bien lui en fasse. Elle était d’une extrême mauvaise foi. Elle reprit avec emphase, tendant les bras vers les cieux dans un mouvement tout aussi théâtral.

« Fort bien ! »
Après une courte pause elle reprit un peu moins fort, et d’une voix un peu moins aigüe, uniquement à sa propre attention, pour elle-même.
« Fort bien, fort bien ! »

Elle se laissa guider avec malice. Elle connaissait parfaitement bien les lieux, mais était impatiente de savoir vers où Mister Cooper l’entraînerait. Dis moi où tu vas, je te dirai qui tu es. Elle ne brisa le silence qu’un peu plus tard, avant qu’un des élèves ne lui vole la vedette. Après tout, elle ne savait pas vraiment si elle devait être flattée ou outrée par cette supposition particulière.  Elle préféra éviter de le prendre mal en évinçant la question tout de suite. Elle prit un air étrange, un peu comme si elle était sur le point d’éternuer.

« Attendez. »
Ses yeux s’écarquillèrent légèrement.
«  Français vous avez dit ? »
Elle le regarda avec emphase. De cette voix toujours plus désagréable. Elle appuya d’ailleurs sur les deux dernières répétitions encore plus qu’elle ne l’aurait dû.
« Mon pauvre ! Mon pauvre ! MON PAUVRE ! »
Courte pause. Elle se saisit de sa main la plus proche et y apposa de petites tapes, très certainement un geste de sympathie et de compassion dans le théâtre néo contemporain.
« Vous devez en avoir du travail ! Les élèves s’intéressent à de moins en moins de choses ! Oh mon pauvre ! Vous devriez demander une augmentation ! Assurément ! »

« Faites la taire. »

Trop tard.

Sigfried n'était même pas sur la lune. Non. Elle venait d'une planète bien plus éloignée. Elle n'était certainement pas de ce système solaire. Elle était à mille lieues des conventions. Et pourtant, je peux vous assurer qu'elle était parfaitement consciente de tout cela. De ce qu'elle faisait, de l'image qu'elle pouvait bien donner, et de tout ce que ça pouvait bien impliquer. Il y avait une chose qu'elle avait cependant appris, retenu et appliquait avec..Application : Toujours passer pour plus bête qu'on est pour s'éviter de mauvaises surprises. Et jusque là, ça fonctionnait parfaitement. On la prenait soit pour une gentille allumée, soit pour une fille trop déphasée pour être dangereuse. Et que ce soit l'un ou l'autre, tout lui convenait parfaitement. Se faire oublier rend suspect, et Machiavel disait lui même que plus le mensonge était gros, plus il convaincrait. Et Dieu que cet homme était sage.

La journée était parfaite pour une promenade. Et tout prenait le meilleur chemin possible. On s'éloignait de plus possible du point de départ, et à vrai dire, les fleurs sentaient particulièrement bon. Les jardiniers faisaient du super travail. Parait qu'ils ne parlent pas beaucoup ici, mais qu'ils aiment ce qu'ils font. Et c'est tout ce qu'on leur demande, soyons honnêtes. Qui ici prend le temps de faire la causette au jardinier ? Personne ! Il ne sort que la nuit, en fin de journée parfois. C'est un peu comme un boulanger. Indispensable mais socialement indésirable. Enfin ! Elle avait autre chose à penser. Elle conversait avec un collègue ! C'était parfaitement impoli de laisser son esprit vagabonder ! Un peu comme écouter de la musique quand on est avec un ami.

Cependant il était nécessaire de rester réaliste. Si elle secouait la tête comme les animatrices pour la télévision en pleine interview avec des gens d'autres cultures, elle n'écoutait qu'à moitié les réponses. Le tout était de donner l'illusion le plus justement possible.  Certes, ça ricanait autour, mais tout ceci faisait délicieusement partie du personnage ! Tant qu'on parlait d'elle, c'était bon pour le business. Il ne cherchait pas le salaire ? Deux options, soit il mentait, soit il était quelqu'un de particulier. Elle s'arrêta un instant de gesticuler. Comme aspirée par une pensée extérieure. Bien entendu cela revint vite, mais elle ne fit pas mention une seule fois de sa réponse. Comme si ce n'était pas important. Et est ce que ça l'était ? Peut être. Peut être pas. Qui s'en souciait. Pas elle du moins.

Ce qu'elle ne savait pas encore, c'est qu'elle aurait à tiquer pour bien pire que ça très bientôt. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et tout semblait bien parti pour continuer comme ça, jusqu'à ce que celui en qui elle avait placé sa confiance ait la pire idée qu'il ait eue jusque là. Il comptait vraiment s'asseoir de nouveau ? Fermer une boucle aussi petite ? Pourquoi prendre la peine de créer une boucle si c'est pour la fermer aussi vite ! C'était insensé. Et elle avait horreur de ce genre de twists. Elle tritura son écharpe nerveusement.  

« Oh..La poésie théâtr...Oui, tout à fait. »

Les fermetures de cercles ne sont jamais positives. Jamais. C'est un mauvais présage et l'a toujours été dans toutes les croyances. Elle frémit. Se mit même à trembler. Pourtant il faisait toujours aussi bon.

« Nous..Asseoir..Je... »

Même sa voix avait diminué de volume.  

« Je... »

Elle hésita un instant. Puis reprit sa voix en même temps que son entrain.

« On m'a dit qu'il y avait une véranda dans le coin. C'est vrai ? Dites ! J'ai TOUJOURS rêvé de voir une Veranda ! Je me suis TOUJOURS demandée comment on pouvait faire pousser des fleurs sous verre. Vous savez, comme dans le film d'animation là, la...Truc et le moche. Rha je ne sais plus. »

Une nouvelle fois elle se saisit de sa main, espérant qu'ainsi il ne décide pas de s'asseoir.

« S'il vous plait s'il vous plait s'il vous plaiiiit ! »