Il faisait froid. Toujours aussi froid. J’avais l’impression de pouvoir sentir ma peau devenir peu à peu de la poussière, se geler peu à peu. J’avais l’impression de pouvoir sentir le froid pénétrer au plus profond de mes poumons pour les geler petit à petit de cristaux de neige. J’avais l’impression de les sentir s’accrocher aux parois de mes organes respiratoires, pour les figer, les boucher, et me priver d’air. J’avais l’impression que chaque bouffée d’air que je respirais se râpait contre cette paroi froide. Je n’arrivais plus à penser, ni à voir. Tout était flou, et les larmes, sans que je le veuille, déferlaient sur mes joues, brûlant au passage ma peau qui ne faisait que se geler au fur et à mesure que le temps s’écoulait. J’avais beau essayer d’arrêter, les larmes continuaient de couler. Je suis désolée. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas quitter le monde comme ça. Je ne voulais pas être inutile. Je ne voulais pas ne servir qu’à mourir bêtement. Je suis désolée. Pour tout ce que j’ai fait. Pour les vies que j’ai laissé passer. Pour les gens que je n’ai pu aider. Pour les malheurs que j’ai causé. Oui, je suis désolée. Désolée de tout. Je m’excuse de ne pas avoir pu vivre plus longtemps. Je m’excuse de ne pas avoir été utile. Je m’excuse de causer tant de soucis à tout le monde.
Et par-dessus tout, je m’excuse au près de mon cavalier. Je ne peux lui parler, mais je m’excuse de mourir ainsi dans ses bras. J’aurais tellement aimé… Tellement aimé passer plus de temps avec lui et mieux le connaître. Je m’excuse de tremper ta douce cape de mes larmes. Je m’excuse de quitter ta douce voix. Je m’excuse de ne pouvoir t’offrir une magnifique soirée. Je m’excuse de t’avoir parlé des fantômes de mon passé, et de m’apprêter à les rejoindre la minute qui suit.
Je suis désolée de tout. Je n’entends plus rien. Je ne vois plus rien. Je ne sens plus rien, si ce n’est le froid qui ne fait que s’emparer de moi, et les larmes qui me brûlent les joues. Pourquoi je pleure ? Pourquoi ces larmes se déversent à flots sur mon visage ? Pourquoi ne puis-je tout simplement pas sourire, en dernier acte, car la mort était tout ce que je méritais après avoir abandonnée ma famille aux flammes ? Peut-être que… Peut-être que j’ai repris goût à la vie. Que j’ai trouvé des personnes auxquelles je tiens. Des amis. Une nouvelle famille.
Oui, suis-je bête. Je ne veux pas les abandonner. Je veux rester à leurs côtés. Mais il est trop tard. Je m’envole. Je m’éclipse. Je le sens, cette aura, cette âme, s’éteindre petit à petit, alors que les voix ne sont que trop lointaines. Je balance ma tête en arrière, avec la force qu’il me reste, pour regarder mon cavalier. Evidemment, je ne le vois pas. Mais je sais qu’il est là. Je sens sa présence. Et je souris. Je ne peux rien faire d’autre que de sourire. Je laisse mes yeux se fermer, paisible, et attends que la faucheuse, de sa faux gelée, détache mon âme de mon corps.


Et puis, à ma grande surprise, je sens ma respiration contre la paroi gelée de mes poumons. Bien que complètement gelé et aux emprises du froid, je sens une pointe de chaleur me chatouiller les membres. Avec difficulté, j’ouvre mes lourdes paupières. Elsa a disparu, tout comme l’une des personnes sur l’estrade. Mais je n’arrive pas à me concentrer, mon cerveau est encore trop figé par le froid.
Je sens Woloymyr me déposer à nouveau l’un de ses habits sur le dos. Je relève la tête en sa direction, tentant de le regarder malgré la lourdeur de mes paupières. Je lui fais un sourire reconnaissant. Merci. Merci. J’aimerais le crier mais ma gorge est gelée. Merci d’être autant attentionné avec moi. De nouvelles larmes apparaissent dans mes yeux. Je ne sais pourquoi. Je ne saurais expliquer. Je sens ensuite un gros truc chaud se poser contre moi. Le familier de Wolodymyr, si je me souviens bien. Je ne sais pas, j’ai l’esprit toujours engourdi. Je sens sa douce main caresser mes cheveux. Je le regarde. Il me dit que je vais m’en sortir. Je lui souris, et acquiesce. Oui, s’il sera là, je m’en sortirais.
Un nouvel arrivant fait son entrée. Je l’entends à moitié, toujours sonnée, pendant que mon cavalier me remet mes bottines. Je me sens faible, à ne rien faire, à être immobile. Je me sens inutile.
J’écoute à moitié le discours du nouvel arrivant, ne comprenant que la moitié de ce qu’il disait.
Puis, j’entends Wolodymyr me glisser à l’oreille comme quoi il va faire tout ce qui est en son pouvoir d’Assassin pour protéger les autres, et que je devais me reposer. Non. Non. S’il te plait, ne me laisse pas. Ne n’abandonne pas. Ne me laisse pas là, en être inutile. Je veux faire quelque chose. Je ne veux pas abandonner les autres. Je t’en prie. Je veux aider. Je ne veux plus jamais revivre cette expérience où j’ai laissé les autres mourir à ma place. Je veux faire quelque chose.
Je tente de bouger, mais je n’y arrive pas. Je vois Wolo se relever et partir vers l’étranger. Non. S’il te plaît. Ne me laisse pas comme ça en proie au froid et aux inconnus. Ne me laisse pas me morfondre dans le passé et l’inutilité.
Il annonce qu’il va se battre, peu importe où, mais qu’il veut qu’on me mette à l’abri. Non. Je ne suis pas d’accord. Je ne veux pas être inutile. Je ne veux pas rester à l’arrière à ne rien faire.
« Non… » Réussis-je à murmurer. D’une main faible, je réussis à pousser délicatement le familier de Wolodymyr, puis à me relever faiblement sur mes jambes qui ne voulaient pas me tenir. J’avançais, titubante, vers Wolodymyr et l’étranger.
« Non. » répétais-je plus fort.  « Je ne veux pas être inutile. Je… Je veux me battre. Même si je ne suis que la plus faible, je… Je veux aider. Je ne veux plus laisser les gens se blesser à ma place. »
Je regardais mon cavalier d’un air désolée. Oui, j’étais désolée. Mais il le fallait. Je ne pouvais tout simplement pas abandonner.
« Je… Je pense qu’il sera plus prudent pour moi de me lancer à la recherche d’Elsa… »
Je souriais, faiblement, me retenant légèrement sur mon cavalier pour ne pas tomber, mes jambes encore faibles par le froid qu’elles avaient subit. Je n’allais pas abandonner.
Coûtes que coûtes, j’allais me battre.