S’il y avait un endroit où l’on ne pense pas pouvoir trouver le petit blondinet, c’était bien l’arène. Un concentré de violence, de magie pure et de sang, pour l’amusement des spectateurs. Or, avouons-le, Ryusaki n’était absolument pas doué en magie. Les sorts, malédictions, enchantements et artefacts runiques font partie d’un groupe de concepts que le jeune garçon ne maîtrisait absolument pas, et sa nature gentille et innocente, naïve et manichéenne, lui disait de ne blesser personne, parce que cela était mal de faire mal. Une personne à qui il fait mal est généralement une personne qui ne l’aime pas après, et donc une personne qui ne lui donnera pas à manger. Donc autant éviter de blesser des gens autant que possible. Alors… Que faisait-il là, dans les vestiaires de l’arène, à se mettre joyeusement en tenue?

Tout a commencé il y a quelques heures. Une petite balade dans les différents bâtiments de l’école. Parce que pour l’instant, la seule chose qu’il avait visité était le dortoir, les salles de cours et le réfectoire. Or, il y avait tant de bâtiments différents qu’il fallait qu’il les visite tous. Tant de nouvelles choses à découvrir. Tant de goûts à essayer. Et le voilà arrivé devant l’arène des combats de Tadakai. On pouvait y entendre des applaudissements, des cris, des rires. Ce qui rendait le bâtiment intéressant. Qu’est-ce qui amenait autant de gens à s’exprimer aussi fort? Autant entrer, par pure curiosité. Une dame se tenait à l’entrée. Et…

“Euh…”
« Bonjour! C’est pour votre première fois? »
“Euh… Voui…”
« N’ayez pas peur, on ne va pas vous manger. Normalement. »

Ryusaki leva un sourcil. Il lui arrivait généralement plus fréquemment d’être de l’autre côté de la chaine alimentaire. Alors, pourquoi cet avertissement? Le jeune garçon n’avait aucune idée de ce dont il devait avoir peur, ce qui allait arriver, et après tout, entrer dans une salle au pif était généralement une bonne expérience. Alors, pourquoi pas? Cela allait être marrant. Théoriquement. Bien qu’il n’avait aucune idée de ce qui allait se passer, ce qui se passera sera marrant.

« Vous avez un rendez-vous? »
“Non… J’pense pas…”
« Ah. Laissez-moi quelques instants alors… Ah, ben, la prochaine place pour l’attraction principale est libre. »
“Attraction? Ne veuuuuuuuuuuuux!”
« Un professeur s’est désisté au dernier moment. Mais… Je doute fort que vous voulez prendre sa place… »
“Ce sera fun?”
« Si vous prenez sa place, cela risque d’être drôle en effet, mais… »
“Y’aura des trucs à manger?”
« Il y aura bien une collation offerte après, mais… »
“Alors j’en suis! Laissez-moi prendre sa place!”
« Vous êtes… Sur? »
“Certain !”
« Alors vous êtes inscrit et confirmé pour la place de 14h, avec Mr Takei. C’est par ici. »
“Yaaaaay !”

Et le voilà inscrit officiellement à l’évènement qui se passera dans une vingtaine de minutes. Le jeune garçon suivit la dame jusqu’à un vestiaire. Il n’avait qu’à choisir, parmi tous les habits présents, ceux qu’il voulait porter pour ne pas risquer d’abimer son uniforme. Et il y avait plein de trucs disponibles! Des chapeaux bizarres, des casques de protection, des vestes de rock star, des habits de sport, des genouillères, des chaussures de sport… Il y avait même une armure intégrale! Et si celle là donnait très envie, malheureusement, elle était bien trop grande pour qu’il puisse la porter, voyant que son pied serait au niveau du genou de l’armure. Et de toute façon, c’était bien trop lourd pour lui.

Tout était trop grand pour lui. Apparemment, à force d’essayer des vêtements, aucun n’était prévu pour la taille 8 ans, le tout commençant généralement avec du 14 ans. Voire du 12 ans. Certes, il avait 13 ans, mais Ryusaki avait la taille d’un gamin de 10 ans, voire même moins. La poussée de croissance, c’était pas encore arrivé. Certes, son uniforme a du être taillé sur mesure, raison de plus pour ne pas l’abîmer. Là, il n’y avait vraiment rien pour lui. A part… Cette… Chose… Qu’il enfila, avec plein d’étoiles dans les yeux. Parce que ça avait l’air trop cool. Apparemment, c’était tout de même suffisamment grand pour que cela ne gène absolument pas ses mouvements. Ryusaki tenta de courir avec, et il n’y avait aucun problème à ce sujet. C’était décidé, c’était habillé comme ça qu’il irait.

Les accessoires. Il y avait plein d’accessoires et de jouets différents. Des jouets comme des haches à double tranchant que le jeune garçon ne tenta même pas de manier. Trop lourd, trop difficile de ranger ensuite. Quoique… On pouvait voir tellement d’armes différentes que le jeune garçon se disait qu’il pouvait très bien en manger un ou deux que personne ne verrait rien. Et hop, une hache de dévorée! Il y avait aussi de nombreux chapeaux, de nombreux éléments de décoration… Dont deux éléments qui, instantanément, captèrent l’attention du jeune garçon. Ils n’allaient pas très bien ensemble, mais bon. Cela ferait un style original. Oups. L’heure. Cinq minutes avant le début de l’évènement. Prenant un petit casse-croute parmi les jouets disponibles au cas où, le jeune garçon s’élança vers la porte. Entrée ouest des gladiateurs. C’était quoi, un gladiateur? Pas grave, il verrait plus tard.

C’est ainsi que l’arène vit entrer un combattant assez particulier. Un jeune gamin, dans une robe de petite fée bleu ciel avec plein de paillettes et quatre petites ailes de fée en plastique transparent. Ayant sur la tête une perruque afro bien noire, et accroché sur la coupe afro, une paire d’oreilles de lapin rose accrochés sur un serre-tête. Le voilà prêt pour son attraction qui allait débuter dans une petite minute… Et Ryusaki n’avait encore aucune idée de ce qu’était, cette attraction, dont il allait bientôt être le centre.

Apparemment, le partenaire de Ryusaki était arrivé. C'était un jeune homme, un adulte, qui faisait à priori cinq têtes de plus que lui, comme bon nombre d'adultes. Enfin non, quatre têtes avec la coupe afro. Peut-être juste trois si on compte le bout des oreilles qui se dressaient au dessus de sa coupe. Toujours est-il que le jeune garçon n'était nullement impressionné. Il n'avait aucune raison de l'être, pour l'instant. Après tout, la seule grande différence résidait dans leur tenue. Lui, la petite fée lapin afro. Et en face, un monsieur normalement habillé, mais avec des oreilles de loup. Ah zut, les loups, ça mange les lapins. Mais c'était pas grave. Parce que les Ryusaki, ça mange les loups aussi.

"Sawasdee-krub, Takei-Sensei!"

Le jeune garçon joignit ses deux mains en prière et s'inclina devant son professeur. Non pas un signe de vénération religieuse, mais de simple respect envers un ainé. Enfin, c'était comme cela que l'on montrait son respect dans son pays natal. Cependant, après l'avoir salué, le professeur s'était contenté de lui laisser... L'honneur? L'honneur de quoi? Il n'avait pour l'instant commis aucun acte méritant pour pouvoir espérer obtenir quelconque honneur. C'était une grande valeur pour lui que de recevoir de l'honneur, mais pour en recevoir, il fallait qu'il fasse quelque chose pour. Et ce n'était certainement pas s'habiller comme une fée qui allait arranger quoi que ce soit.

Un instant de réflexion supplémentaire lui suffit pour lui dire que ce n'était pas ce type d'honneur qu'il venait de recevoir, mais qu'il était celui qui commencerait. Oui, mais qui commencerait quoi? On ne lui avait toujours pas expliqué ce qu'il devait faire. Regardant son professeur, et regardant le public, le jeune garçon ne se sentait pas vraiment à sa place. En écoutant plus précisément, il entendait des cris des élèves assistant à la scène. Qui leur disaient... De se battre? De quoi? Ryusaki n'avait pas signé pour cela! Enfin, en fait, si. C'était désormais trop tard pour faire marche arrière. Mais...

"Euh... Sensei... Je dois donc... Vous taper dessus?"

On sentait bien un certain malaise dans la voix du jeune garçon. Qui était plongé dans un univers plutôt hostile, qui était apeuré par la situation. Toutes les règles de self-contrôle qu'il s'appliquait chaque jour, le retenant de faire n'importe quoi, semblaient se remettre en question dans cet endroit. Il avait un peu de mal à savoir ce qu'il pouvait faire ou non. Hésitant, et légèrement tremblant... Non, ça ne servait à rien d'hésiter. Il fallait plutôt chasser toutes les hésitations d'un coup, et qui mieux qu'un professeur pour lui dire ce qu'il fallait qu'il fasse?

"Enfin, j'veux dire, j'crois que... Vous m'en voudrez pas... Si j'vous fais un peu mal?"

Parce que, vu sous cet angle, cela lui permettra enfin de goûter à des goûts interdits. De goûter ce qu'il s'était formellement interdit de goûter. Car, après tout, il restait tout de même attaché à ses règles. Toujours demander avant de goûter quelqu'un. Et là, même s'il n'avait pas expressément demandé s'il pouvait le manger... Une seule réponse du professeur allait le libérer de toutes ses chaines. Même si, techniquement, cela n'allait pas changer grand chose.

Un peu d'échauffement était de mise. Quoi qu'il en soit, quelle que soit la réponse, Ryusaki sentait que, avec le public et l'arène, cela allait être sportif. Chaque seconde allait compter, chaque détail avait son importance. Alors, autant s'étirer un peu pour ne pas risquer une crampe. Jambes, OK. Bras, OK. Le jeune garçon ouvrit grand la bouche et laissa sortir un baillement. Bougeant un peu la tête pour étirer un peu ses cervicales. Voilà, il était prêt, et n'attendait qu'une chose, confirmation de son autorisation à blesser le professeur. Et lorsque ce dernier acquiesça, le blondinet s'élança. Courant assez vite, puis volant vers sa cible en agitant des ailes... Sauf que voilà, les ailes en question étaient en plastique et non de vraies ailes. Donc, ça servait pas à grand chose d'essayer d'agiter les muscles du dos, ce n'était pas comme ça qu'il s'envolerait. Trop tard, Ryusaki s'était élancé vers l'avant, d'un magnifique saut... Qui le fit donc retomber face la première, à au moins deux mètres du professeur. Heureusement que la coupe afro était là pour amortir sa chute.

"Ah, zut, les ailes marchent pas. Tant pis."

Ayant compris qu'il était totalement inutile d'essayer de voler, le jeune garçon se mit à réfléchir. Son plan parfait n'avait absolument pas marché, il fallait donc qu'il improvise quelque chose d'autre. La solution la plus simple était de voir ce qu'il avait à sa disposition. En l'occurrence, le sable de l'arène, et le joujou qu'il avait piqué en guise de casse-croute dans les vestiaires. C'est pourquoi le jeune garçon prit dans ses mains une belle poignée de sable, avant de se relever aussi promptement que possible pour envoyer ce sable à la figure du professeur. Quelque chose de tout simple et de non magique, mais Ryusaki espérait que cela surprendrait tout de même son adversaire.

Parce que, sans attendre, le voilà replongeant vers le professeur de japonais. Mais cette fois, il semblait à bonne portée pour l'atteindre. Surtout que, même s'il était petit, il avait une épée qui augmentait tout de même pas mal son allonge. Ce que Ryusaki ne savait pas encore, c'est que l'épée était empoisonnée, et apparemment causerait brulures à ce qui serait tranché. Mais cela, encore fallait-il qu'elle touche, ou juste, effleure son adversaire...

Ooooh. On s’envole. On s’envole. Finalement, le costume était magique. Ryusaki ne faisait absolument rien pour, mais il s’envolait comme il l’avait souhaité. Enfin, non, techniquement, avec au moins vingt secondes de retard. C’était un costume volant à retardement. Maintenant, il fallait qu’il comprenne comment le diriger. Après tout, il n’avait pas encore passé son permis de vol, et c’était son baptême de l’air. Suffisait de tester. En penchant son corps vers la droite… Le jeune garçon fut propulsé en arrière. Et en penchant son corps vers la gauche… Le jeune garçon s’arrêta brusquement. Mais ça, c’était du au choc contre le mur de l’arène. Et en repenchant son corps vers la droite… Le jeune garçon tomba au sol. Pouf.

Bon. Après deux-trois essais, Ryusaki finit par comprendre qu’il n’avait aucune emprise sur son costume. Ou plutôt, que le costume n’avait aucun pouvoir de vol, et que battre des ailes ne servait pas à grand chose. Ailes d’ailleurs à moitié cassées, qui tenaient encore avec un petit bout de plastique, mais qui ne pourraient plus être battues. Bah, de toute façon, il n’avait pas battu des ailes quand il s’était envolé il y a quelques instants. Ce devait donc être autre chose qui l’avait fait voler. Genre, le pouvoir de son adversaire. Peut-être qu’il pouvait contrôler les vêtements? Avoir une emprise sur les tissus? Après tout, Ryusaki s’était senti transporté. Non pas lui même, mais soulevé par sa robe.

Il n’avait qu’à essayer, après tout. Avec son épée, le jeune garçon trancha quelques zones de sa robe, afin qu’elle soit plus adaptée au combat. Non pas qu’elle empêchait de courir ou de combattre ou quoi que ce soit. Mais déchirer à ces endroits permettait une chose : Si la robe du petit blondinet venait à le soulever à nouveau et à faire un mouvement contraire au lieu de le suivre, elle craquerait sous son poids et se déchirerait. Bon, c’était sur que la robe finirait par se déchirer à la fin du combat vu les actions effectuées. Mais cela surprendrait plus qu’autre chose, lui donnant peut-être une seconde d’avantage.

Ryusaki se mit à courir vers Takei-Sensei. Il courait assez vite, et ne fit plus l’erreur cette fois d’essayer de voler. Parce qu’il savait que soit il volerait très mal et se ramasserait comme il y a quelques instants, soit il volerait dans une direction qu’il ne souhaitait pas. Tenant son épée des deux mains même si c’était à la base une épée à une main (mais trop lourde pour qu’il puisse la manier d’une seule main), Ryusaki arma son épée derrière lui, comme pour préparer un coup oblique d’en haut à droite vers le bas à gauche. Serrant bien fort son épée des mains pour être sur qu’elle prenne bien l’axe qu’il voudrait et fasse le mouvement qu’il voudrait. Et une fois arrivé à portée, le jeune garçon sauta et… Tenta un bon coup de pied gauche au dernier moment.

Et fiou. Un coup de pied placé, mais un coup d’épée largement évité. Oh, un couteau qui vole. Après le costume, c’était au tour du couteau de voler. Un joli couteau qui fila en ligne droite, et donc que Ryusaki esquiva sans problème, d’un bond en arrière et sur le côté. Après tout, il avait beau aller vite, il n’avait aucun mal à voir la trajectoire et à l’éviter. Ce qu’il n’avait pas prévu, cependant, c’était que le couteau ferait demi-tour, changerait de sens et pique au niveau de l’épaule droite. Aie! Cela faisait super mal! Et comme le couteau semblait animé par une volonté propre, Ryusaki tenta de le retirer avant que… Ah bah non, le couteau s’était retiré tout seul et était retourné dans la main du professeur. Curieux ça. Pourquoi est-ce qu’il n’a pas profité pour remuer bien le couteau dans la plaie avant de partir? Et c’est lorsqu’il tenta de suivre son mouvement qu’il comprit. La lame avait quelque chose de particulier.

Ryusaki ne pouvait plus bouger son bras droit, on dirait. Comme si quelque chose le retenait sur place. Il ne lui fallait pas bien longtemps pour comprendre qu’il s’agissait d’une substance dont le couteau était enduit. Un poison, un anesthésiant. Quoi qu’il en soit, le jeune garçon eut pour réflexe de tout de suite porter sa bouche sur la plaie et d’aspirer tout ce qu’il pouvait, avant de tout recracher sur le sol. Oui, c’est très rare de voir Ryusaki recracher quelque chose. Ce n’était pas parce que ce produit était un poison, qu’il pouvait rendre comestible en temps normal, mais justement parce que ses lèvres avaient touché autour de la plaie et non la plaie en elle même, pour pouvoir aspirer. Et donc, que le produit n’avait pas touché ses lèvres. Et donc, qu’il n’était pas encore comestible. Pour être certain cependant que le reste de produit ne lui ferait pas de mal, Ryusaki passa sa langue sur ses lèvres. Le peu de sang au curare qu’il restait serait donc comestible et inoffensif pour son système digestif. Et gloups.

“N’est drôle, ce poison. Ca irait drôlement bien dans un clafoutis.”

Bon. Il avait beau avoir extrait une partie du poison, il était évident que tout n’avait pas été retiré et que les effets allaient se prolonger. La preuve en était que le jeune garçon ne tenait plus son épée que d’une seule main, et vu la taille, il avait du mal à la manipuler. Et l’épée était devenue ainsi bien plus lente. Le jeune garçon ne pouvait plus courir comme avant à cause de ce poids, et le coup qu’il tenta de lancer était d’une telle lenteur qu’il ne risquait pas de faire grand chose. Il lui aurait fallu en fait une arme qui lui était un peu plus adaptée… Mais ça, il n’avait pas vraiment en stock.

S'il existait une chose, une seule, qui puisse mettre le jeune garçon hors de ses gonds, c'est bien ce que le professeur venait de faire. Le jeune garçon regardait son adversaire pour savoir ce qu'il pouvait faire, et c'était à ce moment qu'il comprit. Le pouvoir du monsieur était de faire voler des objets. Tout et n'importe quoi. Comme des nouilles, par exemple. Des nouilles venant du public. Des nouilles venant d'un élève. Des nouilles ne lui appartenant pas, et envoyées vers la face du jeune garçon. Qui ouvrit grand la bouche afin de tout manger, tout avaler, sans que rien ne soit gaspillé. Car oui, il savait que, s'il n'était pas celui qu'il était, un autre élève n'aurait jamais pu manger ce flot de nouilles aussi vite. Et qu'importe les baguettes qui lui piquaient les yeux. Il avait commis l'irréparable. Takei-Sensei venait de jouer avec de la nourriture. Il venait de voler de la nourriture à quelqu'un.

Il y avait autre chose que Ryusaki avait compris. Il s'agissait d'un combat, et pourtant, Takei-Sensei jouait avec de la nourriture. Ce n'était pas pour sérieusement blesser ou distraire. Mais il avait le temps de faire cela. Le temps, et l'audace de le faire. Alors que Ryusaki donnait tout son possible, son adversaire jouait avec lui. C'était un fait, et il en était conscient : Le jeune garçon n'avait aucune chance de gagner. Si Takei-Sensei se battait sérieusement, Ryusaki ne tiendrait vraiment pas longtemps. Cependant... Ce n'était pas une raison pour abandonner. La petite fée ne croyait pas vraiment aux miracles. Mais là, ce qu'il voulait, ce n'était pas gagner. Juste mettre un gros coup dans la face de ce professeur.

"On ne joue pas avec la nourriture! Vous ne me laissez pas le choix, professeur. Je vais devoir utiliser mon pouvoir sur vous."

A problème draconien, mesures draconiennes. Le poison bien enlevé, ou alors, les nouilles enchantées par la télékinésie lui ayant redonné des forces, Ryusaki vit qu'il pouvait, très difficilement, bouger légèrement sa main droite. Cela lui prenait beaucoup d'efforts, beaucoup trop d'efforts, mais au moins, il pouvait serrer le poing. Encore un peu... Et il pouvait le desserrer. Il fallait qu'il réussisse au moins à bouger sa main correctement, s'il voulait avoir une chance. Mais tout en faisant des exercices de sa main droite... Avec la main gauche, Ryusaki souleva son épée aussi haut que possible... Et croqua dans la lame. Plusieurs fois.

Oui, c'était totalement idiot, mais il pouvait le faire. Après tout, une épée à une main à double tranchant ne servait pas à grand chose, autant laisser un côté bien tranchant intact, et croquer tout l'autre côté, pour rendre l'épée aussi fine que possible, sans qu'elle ne risque de casser s'il tape avec. Et après avoir bien arrangé d'un côté, le jeune garçon fit quelques moulinets avec sa lame, devenue aussi fine qu'un fleuret. Oui, l'arme était devenue beaucoup plus maniable comme cela. Cependant, il n'avait pas avalé les morceaux d'épée empoisonnée. Non, Ryusaki continuait de les macher, pour en faire plein de tout petits morceaux. Presque à l'état de poudre. Morceaux qu'il cacha dans sa main droite.

"Aaaaargh, ça brûle, j'aurai totalement pas du faire cela..."

Autant les morceaux d'épée ne pouvaient couper la paroi de sa joue ou de ses lèvres, autant ces mêmes morceaux d'épée lui faisaient un mal fou à sa main droite. Mais au moins, la douleur réveillait de plus en plus son bras droit. Les larmes aux yeux, Ryusaki finit sa série de mouvements de fleuret tenu par sa main gauche, et lorsqu'il vit comment le manier, comment donner des coups rapide et précis avec, ou plutôt, dans quel sens il fallait donner des coups pour espérer trancher, couper avec, le jeune garçon s'élança à l'attaque. Courant vers le professeur en faisant quelques moulinets dans le vide, avant à mi chemin de placer correctement son épée pour pouvoir frapper d'un angle optimal une fois qu'il serait à portée.

Et une fois qu'il fut à portée... Ryusaki lança tous les morceaux de lame empoisonnée vers le professeur. S'il pouvait contrôler par télékinésie un objet, il aurait surement beaucoup de mal à en contrôler en même temps une trentaine ou une quarantaine de tout petits morceaux. La même stratégie qu'au tout début, une stratégie plutôt lâche, mais qu'importe. La faim justifiait les moyens.

Frapper avec l'épée, pour montrer le danger qu'elle représente. Puis la montrer, afin de laisser le danger présent, afin d'attirer l'attention. Car c'est avec l'attention que Ryusaki jouait principalement. Il ne pouvait pas faire de démonstration de force, et n'avait à proprement parler aucune réelle technique. Aucune expérience. Le jeune garçon se battait mal, mais il pouvait toujours surprendre. Avoir le danger et la surprise lui permettait de rester offensif. Tout en gardant un oeil sur son épée. Car comme il l'avait prévu... L'épée finit par se retourner contre lui. Il ne put pas éviter un coup, mais Ryusaki put au moins choisir où il serait frappé. Le bras droit de Ryusaki prit une vilaine coupure... Qui lui brûlait. Au moins, maintenant, cela lui permit de complètement le réveiller. Cependant, la douleur lui fit lâcher l'épée.

L'épée fila très loin. Mais vraiment très loin, à l'autre bout de l'arène. Ryusaki se retourna pour regarder où elle allait. Après tout, tout à l'heure, la dague passée derrière était revenue se planter dans son bras. Regarder son épée au moins lui permettait de s'assurer que cette dernière ne se planterait pas dans son dos. Mais apparemment, le professeur préférait plutôt l'envoyer bouler au loin. Le jeune garçon amorça un mouvement comme s'il voulait aller la chercher tout de même, avant de se retourner brusquement et de se jeter, sans armes, sans avertissement, et sans réel plan, sur le professeur. Mais n'ayant pas eu de cours de combat ou d'art martial, Ryusaki ne savait pas vraiment donner un coup de poing.

La preuve en était, son mouvement avait beau être rapide, il était loin d'être précis ou ferme. Loin d'être dangereux. Très facile à parer, très facile à esquiver, aucun dégât potentiel, mais surtout, du fait de sa petite taille, le jeune garçon n'avait aucune allonge. Tout cela, il le savait. Ce n'était pas par désespoir qu'il se lançait de cette manière, à corps perdu. Mais, quitte à se prendre des coups, autant garder l'effet de surprise pour la fin, ou plutôt, trouver une ouverture, le bon moment. La trouver, pas l'attendre. S'il l'attendait, peut-être que l'ouverture ne viendrait jamais. Non, il fallait la provoquer. D'une manière ou d'une autre.