Tourne la tête !

Le matin avait été un enfer pour Shoda. Réveillé avec plus d'une heure de retard, le jeune homme avait du se hâter afin d'essayer d'arriver à l'heure en salle de cours. Bien entendu, l'heure était trop avancée et le blond avait du présenter des milliers d'excuses à son professeur. L'esprit endormi, il avait donc tenté de suivre le cours du mieux qu'il le pouvait mais son attention fut bien vite détournée par l'extérieur, où il réussissait toujours à dénicher une source de distraction. Attitude d’absentéisme qui lui fut ensuite reprochée par le même professeur, soucieux du point de vue du magicien sur ses études. Le professeur lâcha bien vite l'affaire, sachant qu'il ne réussirait pas à le faire changer d'avis aussi subitement. Shoda écoutait les remarques émises par son professeur par pur respect, il ne se tenait qu'à son propre opinion : ses résultats étaient excellents. Point. Il n'y avait, pour lui, pas à chercher plus loin. Si des difficultés égermaient, il ferait alors un effort, mais rien ne l'alarmait pour le moment. C'est du moins ce qu'il assura à son professeur en fin d'heure.

Le cours terminé, le mage traversa les nombreux couloirs et corridors du pensionnat, pleins à craquer d'élèves concentrés en petits groupes. Shoda n'accorda son attention à aucun de ces groupuscules et préféra fixer un point imaginaire, avec l'allure décontractée qui le caractérisait. De part et d'autre, il entendait des extraits de discussion, allant du charisme du nouveau membre du Club de sport aux projets des vacances d'été qui se préparaient déjà. Toutes ces rumeurs et autres confessions amusaient beaucoup le blond qui ne s'arrêta pas pour autant.

Comme à l'accoutumée, Shoda n'avait pas de cours durant 1 heure et profitait de ce maigre répit pour se rendre à l'extérieur et chercher une enclave paisible où il pourrait s’enivrer de ses rêves. Toutefois, lorsque le magicien arriva devant les portes principales du pensionnat, l'expression de son visage changea radicalement et adopta une petite moue. A l'extérieur, le ciel était grisâtre et une pluie s'abattait violemment sur le sol. Le blond resta immobile quelques instants, les traits figés, et réfléchit à une alternative. C'était la première fois, depuis son arrivée, qu'il pleuvait durant son temps libre. Il tourna alors des talons, oubliant l'idée de s'isoler à l'extérieur, tout en pensant que l'achat d'un parapluie ou d'une veste épaisse serait une bonne idée à l'avenir.

Le blond observa le halle d'entrée et se résigna à gagner le premier étage, comme le font beaucoup d'élèves de sa classe en temps normal. Adoptant à nouveau sa démarche nonchalante, Shoda monta les escaliers en une course effrénée avant d'arriver dans un large couloir d'où il revenait alors. La salle de cours était déserte. Plusieurs autres possibilités s'offrirent à lui. Le laboratoire ? Pourquoi travailler ? La salle de musique ? Une répétition était prévue l'après-midi. Il ne restait plus que le foyer ainsi qu'une salle qu'il n'avait jamais eu l'occasion de visiter.

Le mage marcha dans le couloir et passa devant le foyer. Il se posta derrière la porte et observa l'intérieur de cette salle, terriblement prisée par la classe 5. Et en effet, de nombreux élèves de la classe 4 et 5 s'y trouvaient : Shoda les reconnut facilement à leurs couvre-chefs. Le jeune homme, sans réel autre choix, franchit la porte et s'installa à une table en retrait des autres classes, concentrées autour du billard et autre jeux d'intérieur. Sans prêter attention à ceux qui l'entouraient, le blond sortit un livre de son sac de cuir noir. Il l'ouvrit, commença à lire et se laissa guider par chaque mot vers un autre monde, où les pensées n'étaient plus et où seules les aventures relatées par l'auteur occupaient l'esprit. Et l'histoire commençait bien. Les mémoires d'un aviateur qui exposait ses impressions de vol et avait réussit à trouver des tournures assez bien formulées pour qualifier la sensation qu'on ressentait au milieu des airs, en se laissant transporter par les douces rafales. L'auteur réussissait à désigner le rêve de Shoda.

Fin du chapitre 1. Le blond soupira et reposa le livre, sans le fermer. Il leva les yeux et regarda les fenêtres de la salle où régnait un violent brouhaha. Il se demandait d'ailleurs comment il avait réussi à se plonger dans ce livre, avec une telle cacophonie. Le magicien profita de cet entracte pour prêter davantage d'attention aux élèves présents afin de repérer des visages familiers. Il connaissait la plupart des mages présents de nom, sans aucune intimité. Toutefois, ses azurs rencontrèrent les traits bien connus d'une personne qu'il connaissait mieux que les autres élèves qui l'entouraient. Une de ses camarades de la classe 1. Shoda fut étonné de la voir au foyer, mais non mécontent.

Aria Xuri. Une fille avec qui il n'avait eu de réelle discussion, mais qu’il appréciait tout de même. Du moins, il ne la détestait pas. En digne membre de la classe 1, il s'agissait d'une élève à l'allure supérieure et vaniteuse. Le blond n'avait rien contre cette attitude, bien qu'il ne l'adoptait qu'en de rares occasions. Shoda la regarda tout en réfléchissant à ce qu'il devrait faire. Devrait-il se lever et aller la rejoindre ? Elle risquait peut-être d'être indisposée par sa compagnie... Oui, les filles ont des comportements étranges. Le magicien resta donc adossé sur sa chaise, et s'apprêta à lui adresser un franc sourire lorsqu'elle tournerait la tête...

Entre gêne et sympathie...

Après quelques instants de somnolence, leurs regards se croisèrent enfin. La jeune femme semblait gênée par son insistance, mais ce ne fut pas ce qui le stoppa, bien au contraire. Lui aussi était assez confus : les autres élèves présents dans le foyer pouvaient observer l'étrange comportement de Shoda, et voir qu'il fixait une pensionnaire, sourire aux lèvres. Cette situation pouvait porter à confusion, et pourtant, le magicien n'avait aucun arrière pensée. Il souhaitait simplement avoir un peu de compagnie durant cette heure qui – jusqu'alors – s’annonçait interminable. Ainsi, il profiterait du mauvais temps pour rester à l'intérieur du pensionnat et nouer des liens avec d'autres élèves. Et quoi de mieux qu'un élève de sa propre classe ? S'il voulait, il aurait pu aisément rejoindre un groupe de jeunes filles, moins âgées que lui, qui se contentaient des rumeurs attachées au jeune magicien et aurait passer une heure à évaluer son pouvoir d'attraction. Toutefois, cela ne l'intéressait pas vraiment. Au contraire, faire connaissance avec la mystérieuse Aria s'avérait être bien plus exaltant.

Shoda se sentait ridicule et appréhendait les jugements des autres élèves qui l'entouraient, mais sa gêne s'évanouit lorsque leurs regardes se croisèrent. Un petit instant de silence régna alors, le jeune mage se demandant s'il ne devait rien faire de plus ou rejoindre Aria. Après une courte réflexion, Shoda se leva avec discrétion et sentit déjà quelques regards se poser sur lui. Il rangea alors le livre qu'il avait fraîchement entamé dans son sac de cuir, le saisit d'une main et rangea la chaise sur laquelle il était assis.

Assez rapidement, le jeune homme fit quelques pas en direction de sa camarade de classe et vérifia que des regards indiscrets n'observaient pas la scène. Toutefois, les élèves présents au foyer semblaient être assez indifférents quant au fait que le magicien du vent ait rejoint Aria, et semblaient plutôt préoccupés par leurs occupations respectives qui ne manquaient pas dans cette salle, et c'était tant mieux.

Arrivé devant la Xuri, le blond sourit à nouveau avec chaleur et réfléchit une manière de l'aborder sans être brusque, mais plutôt avec ironie et bienveillance. Il n'était pas dans les habitudes de Shoda d'être aussi sociable, aussi sa démarche ne paraissait pas véritablement naturelle, mais plutôt réfléchie.

"Tu n'es pas en train d'étudier la biologie, en digne élève de la classe 1 ?", dit-il, avec un sourire mi-moqueur pendu aux lèvres. Le blond arbora des traits assez paisibles qui démontraient facilement sa sympathie. A travers ce visage, qu'aurait-on pu voir d'autre qu'un élève solitaire qui cherchait à établir de nouveaux liens avec les autres élèves et qui faisait des efforts d'intégration ? C'est du moins ce que le jeune magicien essayait de faire véhiculer à cet instant précis, et espéra ainsi que la charmante Aria n'était pas aussi casanière et sèche que lui. Le jeune homme resta ainsi planté devant la magicienne en attendant une réponse, qu'il souhaitait compréhensive et enthousiaste. Si ce n'était pas le cas, il rejoindrait ses seuls compagnons fidèles – à savoir les nuages et la brise – et affronterait à ce prix la pluie battante qui rayait la vue de l'extérieur qu'offraient les vitres du foyer.